C'est au deuxième degré, et sur le mode de l'ironie qu'il faudra prendre l'exposition Tarzan! ou Rousseau chez les Waziri, qui occupera une partie du musée du quai Branly de juin à septembre. Avant de peut-être se déplacer, au printemps 2010, au Musée de la civilisation de Québec (les deux musées sont en discussion en ce moment).

C'est une exposition en forme de pied de nez. Le Musée des ar ts premiers , au qua i Branly, a été créé, d'une certaine manière, pour restituer leur dignité et leur vrai visage aux civilisations englouties d'Afrique, d'Amazonie ou du cercle arctique. Longtemps, on avait qualifié ces peuples de «sauvages « ou de «primitifs «. Au quai Branly, on peut constater qu'au fil des siècles, ils ont produit un art parfois sublime.

 

Comme le dit l'ethnologue Roger Boulay, commissai re de l'exposition, «Tarzan est le mythe occidental par excellence. Une création contemporaine du colonialisme, puisque le premier roman d'Edgar Rice Burroughs date de 1912. Pour être certain de rester dans le cliché absolu, l'auteur de Tarzan of the Apes a bien pris soin de ne jamais mettre les pieds en Afrique. Ce qui lui permet par ailleurs de s'imaginer dans les 25 romans suivants consacrés à Tarzan une Afrique à sa convenance, où l'homme-singe rencontre successivement, dans des vallées perdues, une tribu d'Amazones, des croisés, un cirque romain resté en l'état, des hommes de la préhi s - toi re, des Vikings enlevant la femme blanche et même l'Atlantide»

L'ethnologue Roger Boulay avait déjà monté une exposition à tonalité ironique intitulée Kannibals et Vahinés, qui faisait la part belle aux clichés coloniaux, pour ne pas dire racistes. Son expo sur Tarzan, qui se veut à la fois ludique et « familiale «, est garantie 100% kitsch et pacotille.

On y verra une cinquantaine de planches grand format de la bande dessinée demeurée la plus célèbre, celle de Burne Hogarth. Des extraits des films les plus célèbres, où un certain Johnny Weissmuller pousse son fameux cri un dérivé du yodle tyrolien, mais retravaillé en studio, ce qui en fait «un cri inhumain».

Précision : on avait fini par attribuer à Weissmuller les origines tyroliennes du cri, et caché le fait qu'il venait des faubourgs de Timisoara, en Hongrie. Il y aura quelques affiches célèbres, où l'on voit Tarzan aux prises avec de redoutables crocodiles « tel saint Georges terrassant le dragon «. Il y aura une ambiance sonore faite de bruits d'animaux divers. On organisera aussi des concours de «cris de Tarzan».

Ce qui tiendra également une place impor tante dans cette exposition, ce sont les sources d'inspiration d'Edgar Rice Burroughs, influencé par des documentaires coloniaux, parmi lesquels Les cannibales du Vanuatu de Martin Johnson ou Le safari Roosevelt de 1909.

« Dans les romans de Burroughs, dit Roger Boulay, il y avait l'expression de cette attirance permanente de l'homme moderne pour la nature intacte. Mais cela se mêlait de fatras idéologiques et scientifiques parfois inquiétants, souvent racistes, où certains ont appliqué à l'humain les théories de Darwin sur les plantes. Burroughs est donc vaguement attiré par l'eugénisme, la création d'une nouvelle race d'humains obtenue par effets de croisement»

Un mythe aussi énorme et persistant qui donnera bientôt une nouvelle production hollywoodienne a peut-être l'obligation d'être simpliste et délirant, pour ne pas dire débile. En parcourant l'oeuvre de Burroughs et ses produits dérivés, Boulay a constaté que Tarzan ne savait pas parler, mais qu'il savait lire. Que la première rencontre avec Jane a eu lieu le 5 février 1909 à Paris ! et que Jane ambitionne d'apprendre le français à son homme-singe. « Jane a un côté bonne ménagère et popote, dit l'ethnologue, mais curieusement, elle accepte d'être sa maîtresse, mais pas son épouse ! «

De son vivant, Edgar Rice Burroughs a vendu 30 millions d'exemplaires de ses romans tarzanesques. C'est dire à quel point il avait cristallisé sur son personnage en slip léopard de vagues aspirations collectives.

«Mais, ajoute Roger Boulay, il fallait également des décennies de ce très mauvais cinéma pour que le mythe devienne immortel. «