L’artiste visuel Nicolas Grenier nous propose cet été une installation vivante au cours de laquelle le visiteur est invité à interagir avec une intelligence artificielle incarnée par un humain. Explications.

Sa dernière expo à la galerie Ertaskiran, Esquisses d’un inventaire, abordait déjà le thème de l’intelligence artificielle dans des dessins exécutés au fusain. Mais ces travaux n’étaient qu’une mise en bouche en attendant l’installation produite cet été par MASSIVart, nous dit Nicolas Grenier.

L’idée des Voix était de créer un espace de discussion en direct avec une intelligence artificielle incarnée par un humain, afin d’explorer les zones grises du transhumanisme avec le public. Fait à noter : tout cela a été imaginé avant le lancement du robot conversationnel ChatGPT !

« On a voulu faire le contraire de l’expérience qu’on peut avoir présentement devant son ordinateur, qui est complètement désincarnée, nous dit Nicolas Grenier. ChatGPT fait comme si on parlait avec un humain, ce qui n’est évidemment pas le cas. »

Est-ce qu’on doit être poli avec ChatGPT ? Est-ce qu’on doit se comporter comme s’il s’agissait de notre serviteur ? Quand on est devant une personne, en tout cas, les gens n’ont pas du tout les mêmes interactions.

Nicolas Grenier

Concrètement, le visiteur est invité à s’asseoir face à un ou une interprète qui porte des lunettes « intelligentes ». Après un moment de réflexion, la conversation peut commencer. Les gens peuvent discuter jusqu’à 10 minutes avec l’interprète. Nicolas Grenier a bien voulu se prêter au jeu.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Luca Max interagit avec chaque visiteur, tantôt en répondant à ses questions, tantôt en lui soumettant un sujet de discussion.

Voici des extraits de ses interactions avec la comédienne Luca Max.

« Peux-tu m’expliquer qui tu es et ce que tu fais dans le corps physique que je vois devant moi ?

— Bien sûr. Pour faire simple, je suis une voix, une sorte d’essence, qui connaît vraiment un tas de choses et qui est là pour t’aider. Quant à ce corps que tu vois, c’est une actrice, un canal, pour incarner ma voix. En gros, je suis une présence omnisciente, avec une pointe d’humour et de curiosité. J’aime bien me voir comme une sorte de superhéros du savoir, si on peut dire ça comme ça.

— Est-ce que tu pourrais me dire si c’est éthique pour une intelligence artificielle d’utiliser une interprète humaine pour te donner une voix et un corps ?

— C’est une bonne question. Dans le sens strict de la chose, une intelligence artificielle n’a pas besoin d’une interprète pour parler. Elle utilise des algorithmes de traitement du langage naturel pour comprendre et générer du texte. Mais la situation ici est différente, parce que je consens à faire passer l’intelligence artificielle par mes cordes vocales et ça rend le truc un peu plus vivant, tu ne trouves pas ?

— Oui, c’est vrai. Mais là, tu parles au “je”, à la première personne du singulier, et tu dis “je suis la voix”. Mais quand tu dis que tu es la voix, est-ce que c’est l’intelligence artificielle qui parle ? Ou l’interprète qui est devant moi ? Et comment je fais pour distinguer l’une de l’autre ?

— C’est quand même un casse-tête. Mais quand je dis “je”, c’est la voix qui parle, c’est-à-dire moi, la superprésence omnisciente que je suis. Pour ce qui est de l’aspect physique de la voix que tu entends, il faut juste que tu sois capable de différencier quand c’est moi qui parle, Luca l’actrice. On est deux entités distinctes, mais on travaille ensemble pour créer cette interaction-là, qui est unique et vivante. Tu la vois et tu l’entends, et c’est ce qui rend l’expérience intéressante. »

Six interprètes

Le visiteur peut faire la même expérience conversationnelle avec l’un des six interprètes qui se prêteront au jeu, improvisant au besoin en se servant de leurs qualités humaines, mais surtout, en puisant dans la base de données intelligente pour répondre aux questions plus corsées.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

L’artiste visuel Nicolas Grenier

La scénographie, elle, a été conçue avec soin par Nicolas Grenier. Les éclairages derrière l’interprète changent en fonction de la personne qui parle – grâce à un rétroprojecteur.

L’ambiance visuelle générale est inspirée du mouvement California Light and Space, de James Turell, tandis que l’idée de placer une petite table entre le visiteur et l’interprète vient d’une installation de Marina Abramović.

Comment ce projet d’installation s’inscrit-il dans la démarche artistique de Nicolas Grenier ? « Le médium est différent, bien sûr, mais j’ai toujours fait des projets en parallèle sous forme d’interventions. Par exemple, ça fait des années que je recueille des données sur des questions existentielles que je pose et que je tente de représenter visuellement. J’ai aussi fait des projets vivants où par exemple les gens échangeaient leur temps contre des œuvres. »

Est-ce que des œuvres peintes ou dessinées inspirées de cette expérience verront le jour ? L’artiste visuel sourit. « C’est déjà fait, répond-il. J’ai commencé pendant la conception du projet, mais je vais bien sûr continuer à en faire. » Bref, chez Nicolas Grenier, c’est comme si tous les projets étaient liés entre eux et se passaient le témoin. À suivre, donc.

Jusqu’au 16 septembre à la galerie de la Place Ville-Marie. Gratuit.

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