Déjà assommée par la grève des scénaristes américains depuis deux mois, l’industrie du tournage à Montréal a encaissé un nouveau coup dur, jeudi, lorsque le syndicat des acteurs d’Hollywood a déclenché une grève historique.

« C’est officiel, cette grève va complètement paralyser l’industrie de la production ! », s’exclame un des fondateurs des studios MELS, Michel Trudel. Il va falloir que ça se règle vite, surtout pour nos travailleurs ici, à Montréal. »

Comme tous les ans, Montréal accueille un grand nombre de productions américaines, lesquelles sont tournées à même les rues ou encore en studio. La grève des scénaristes avait déjà mis un frein à certaines productions (Ghost, The Venery of Samantha Bird), laissant les professionnels de l’industrie sur le qui-vive. Celle du syndicat des auteurs (SAG-AFTRA) met sur pause l’ensemble des productions américaines dans le monde.

Selon les plus récentes données de l’AQTIS 514 IATSE, le syndicat des techniciens de l’image et du son, le nombre d’employés actuellement sans contrat de travail en raison du conflit de travail des scénaristes s’élève à 800. Joint au téléphone, le président de l’AQTIS 514 IATSE, Christian Lemay, estime que ce nombre grimpera « entre 1200 et 1500 » avec la grève des comédiens hollywoodiens.

« Ce sont des gens de la classe moyenne, qui sont majoritairement des pigistes, souligne Christian Lemay. Ces gens-là font le gros de leur argent en ce moment, durant la saison estivale. Ils sont sollicités au point de faire des journées de 12 à 15 heures. À ce moment-ci de l’année, ils sont censés avoir déjà travaillé deux ou trois mois. »

La dernière grève commune de la Writers Guild of America (WGA) et de SAG-AFTRA remonte à 1960. Les deux regroupements pourraient d’ailleurs former un tandem dans les négociations, qui risque de perdurer.

PHOTO FOURNIE PAR L’AQTIS 514 IATSE

Le directeur de l’AQTIS 514 IATSE, Christian Lemay

Nos membres nous l’indiquent : il y a un stress. Ça va jusqu’au point où on se fait demander s’ils doivent retirer leur régime d’épargne-retraite. Les revenus sont à zéro pour ceux qui dépendent des productions américaines.

Christian Lemay, président de l’AQTIS 514 IATSE

Pour sa part, la présidente de l’Union des artistes (UDA), Tania Kontoyanni, affirme qu’il est encore trop tôt pour évaluer l’ampleur des répercussions qu’aura cette grève sur ses membres. Elle reconnaît toutefois qu’elles sont inévitables, notamment pour le secteur du doublage au Québec.

« La grève des scénaristes avait déjà des répercussions ici. Étant donné que certains textes n’ont pas été écrits, certaines productions n’ont pas été tournées. Résultat : dans quelques mois, les productions qui étaient censées être doublées ici à Montréal ne le seront pas puisqu’elles n’ont jamais été tournées. »

Michel Trudel souhaite qu’une fois la grève terminée, la production puisse reprendre sans trop de temps d’attente. « J’espère que les scénaristes continuent d’écrire malgré le fait qu’ils sont en grève. Il nous faudra du contenu quand le tout sera réglé, car la production va reprendre à vitesse grand V. »

Espérer pour le meilleur, planifier le pire

Sans tournage américain à se mettre sous la dent, le Québec peut se rabattre sur les productions locales. « Puisque nous avons un gros volume de production de séries québécoises et que notre star-système est très puissant, on réussit à avoir une économie francophone locale très active », commente le vice-président et cofondateur de Grandé Studio, Andrew Lapierre.

Même son de cloche du côté de Tania Kontoyanni.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Tania Kontoyanni, présidente de l’UDA

Le fait que certaines productions américaines ne viendront pas à Montréal libérera des studios pour nos productions d’ici.

Tania Kontoyanni, présidente de l’UDA

Encore faut-il qu’il y ait assez de productions locales. « Ce qui va arriver, c’est que les employés qui sont habituellement affectés à des productions américaines vont se tourner vers les productions locales. On va donc se retrouver dans un contexte où on a plus de gens prêts à l’emploi qu’on a d’emplois », craint Christian Lemay.

La météo pourrait également être un facteur qui jouera en défaveur des tournages qui ont été mis sur pause à Montréal. Contrairement à d’autres endroits dans le monde, le Québec dispose de quatre saisons avec de très grandes variations de température. Une série qui était prévue à l’extérieur en juin ne pourra pas être reprise en novembre.

« À Montréal, l’été est une période très achalandée dans notre domaine, explique Andrew Lapierre. Si la grève dure trop longtemps, les tournages pourraient être annulés ou déplacés dans un autre pays. »

Des revendications partagées

Bien qu’il s’agisse d’un combat mené par deux syndicats américains, les revendications des scénaristes et des auteurs d’Hollywood trouvent une résonance au Québec.

« Nous appuyons les revendications actuelles, déclare Christian Lemay de l’AQTIS 514 IATSE. Les négociations auront des impacts sur l’industrie à l’échelle mondiale. »

Quant à l’Union des artistes, Tania Kontoyanni est catégorique. « L’UDA soutient ce qui se passe à Hollywood et nous sommes solidaires avec eux. Je dirais même qu’on s’inspire de ce qui se passe et que ça nous donne du courage. »

L’UDA doit entamer ses propres négociations à l’automne.