Elle est militante culturelle. Il est propriétaire de bar. Elle vivait à Marioupol. Lui, à Kyiv. Tous deux œuvraient intensément dans le milieu culturel ukrainien. Elle en organisant des évènements artistiques d’avant-garde, lui en produisant des spectacles et des rave parties.

Du jour au lendemain, leur vie a basculé. Lorsque les Russes ont attaqué leur pays en février dernier, ils ont été obligés de se réinventer, comme d’ailleurs la totalité de la scène underground ukrainienne, qui s’est aujourd’hui dispersée, mais n’est pas inactive pour autant.

Diana Berg et Andrii Yankovskyi sont à Montréal cette semaine pour participer au Sommet de la nuit, un colloque consacré à la culture du « nightlife » dans le monde. Ils ont été invités à une table ronde vendredi matin, pour expliquer comment leur communauté a su s’adapter et se transformer, dans un contexte peu propice à la beauté et à la création. Et c’est exactement ce dont on a parlé avec eux mercredi, dans un hôtel du centre-ville.

Dans le cas de Diana, les activités se sont arrêtées brutalement. Marioupol, assiégé et bombardé, est devenu une ville sinistrée, où la mort rôde à chaque coin de rue.

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Diana Berg

Le seul nightlife qui demeure, ce sont les soldats russes qui tuent et qui violent.

Diana Berg

Cette situation ne lui a laissé d’autre choix que l’exil. Elle vit depuis en « nomade », mais souligne avec satisfaction que son centre d’art, appelé Platform TU, a été transformé en abri antiaérien pour une cinquantaine de résidants du quartier coincés dans la ville martyre.

Son équipe, qui compte une dizaine de personnes, n’a pas non plus baissé les bras. « Certains s’occupent des évacuations. D’autres, de la sauvegarde du patrimoine culturel. D’autres encore font de la thérapie par l’art avec les jeunes ou récoltent des fonds pour les réfugiés », raconte-t-elle, avec une pointe de fierté.

Même topo à Kyiv, où la communauté artistique se plie à la nouvelle réalité.

Plus épargnée que Marioupol, la capitale a repris un semblant de normalité depuis quelques semaines, malgré le couvre-feu (de 23 h à 5 h) et des heures limitées pour la vente d’alcool. Les boîtes de nuit et les bars ont rouvert leurs portes et retrouvé une partie de leur clientèle, mais servent aussi désormais de manufactures ou de dépôts pour le matériel de guerre.

C’est le cas du bar HVLV (dont le nom se prononce « Rvilovey », ce qui veut dire ondulé, dans le sens de « wavy »), dont Andrii est copropriétaire. Dès le début du conflit, ce lieu central de la vie nocturne et underground à Kyiv a été réquisitionné par les autorités, se transformant malgré lui en arrière-boutique militaire et en abri antiaérien.

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Andrii Yankovskyi

Notre piste de danse est devenue un entrepôt pour des médicaments, des drones et des cocktails Molotov.

Andrii Yankovskyi

Autre initiative intéressante, le HVLV vient de lancer Fundradio, une plateforme numérique qui donne la parole aux acteurs de l’underground ukrainien. Dans un décor loungy, des militants et des artistes viennent discuter de leur réalité dans une sorte de talk-show alternatif, où les animateurs fument des clopes et boivent de la bière, le tout en anglais pour un plus grand rayonnement international, quand ce ne sont pas tout simplement des DJ de Kyiv qui « spinnent » des disques.

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Contribuer, à sa façon

Ces reconversions ne sont pas uniques. Diana Berg explique que tous les acteurs du milieu culturel qui sont restés en Ukraine contribuent de près ou de loin à l’effort de guerre, même si beaucoup n’ont jamais tenu d’armes dans leurs mains.

« Il y a des poètes, des photographes, des musiciens, des artistes. Beaucoup se sont enrôlés et se battent réellement sur la ligne de front. Il y a même des soldats de la communauté LGBTQ », dit-elle, avant d’ajouter : « Ce n’est pas lié à la culture, mais on s’en fout. »

L’important, c’est de contribuer d’une manière ou d’une autre. Soit tu prends les armes, soit tu livres du matériel à ceux qui se battent, soit tu aides les survivants ou les réfugiés.

Andrii Yankovskyi

On imagine à peine chez nous, dans le cas d’une hypothétique invasion américaine. Les Foufs seraient-elles recyclées en entrepôt pour des drones et des cocktails Molotov ? Loud et FouKi prendraient-ils les armes pour protéger la frontière ? CKUT se transformerait-elle en radio de la résistance ?

Encore une fois, l’exemple ukrainien force l’admiration. Et prouve qu’en temps de guerre, même les plus pacifistes peuvent augmenter le niveau du jeu. Reste à savoir pour combien de temps.

« Je ne pense pas qu’il y ait un scénario où la Russie l’emporte et avale l’Ukraine, conclut Andrii. Les Russes vont tomber et le régime [de Vladimir Poutine] sera détruit de l’intérieur et de l’extérieur. La question est : combien d’Ukrainiens vont survivre jusque-là ? La réponse est dans les mains de nos alliés et de ceux qui se battent pour la liberté. Mais on ne va jamais abandonner. »

Andrii Yankovskyi, Diana Berg et Dasha Zarovna participeront à une discussion (en anglais) le vendredi 20 mai à 10 h au Monument-National.

L’évènement Montréal au Sommet de la nuit a lieu les 19 et 20 mai 2022, en préambule à l’évènement Montréal 24/24.

Consultez le site de Montréal 24/24

Le concert de Dakh Daughters remis à vendredi

Le concert « cabaret trash » du groupe ukrainien Dakh Daughters, prévu jeudi soir en ouverture du Festival de musique actuelle de Victoriaville, a été remis à vendredi 15 h. Selon toute vraisemblance, ce report serait dû à une histoire de visas. En soirée mercredi, cette formalité administrative n’avait toujours pas été réglée. Le Festival doit communiquer avec les détenteurs de billets.