Monica Gross, une comédienne de 30 ans, a remarqué quelque chose d’étrange l’an dernier lors de soirées. Les gens s’éclipsaient aux toilettes ou dans un coin tranquille pour écouter ou dicter des notes vocales – des enregistrements qui s’envoient comme un texto.

Mme Gross a vite pris cette habitude.

« Quand on se dit : “Ça va faire un paragraphe”, aussi bien faire une note vocale », dit-elle.

Les notes vocales sont soudainement populaires. À mi-chemin entre le texto et l’appel, elles permettent d’éviter le clavier du téléphone. Comme les gens s’appellent moins, entendre la voix d’un ami permet de deviner comment il va, observent certains utilisateurs. D’autres, par contre, les voient s’empiler et trouvent que ça fait une corvée numérique de plus.

Un besoin

Quoi qu’il en soit, la popularité des notes vocales nous renseigne sur le besoin que nos contemporains cherchent à combler.

Ces messages dictés à voix haute sont apparus dans l’appli Messages d’Apple en 2014. Depuis, ils se sont propagés à presque tous les réseaux sociaux et messageries. Selon l’appli de rencontres Hinge, envoyer une note vocale augmente de 48 % les chances d’obtenir un rendez-vous. De nombreux utilisateurs de TikTok envoient des clips audio longs et décousus à leurs amis, qu’ils décrivent comme des balados basés sur les hauts et les bas de leur vie quotidienne.

Une note vocale est simple : on appuie sur l’icône du microphone, on dit ce qu’on a à dire, puis on l’envoie. Selon l’application, on peut écouter sa note ou lire sa transcription automatique avant de l’envoyer. Dans l’appli Messages, les notes vocales s’effacent après avoir été écoutées, ce qui crée de la confusion chez certains utilisateurs.

Pour bien des gens, les notes vocales résolvent un problème. Pour les travailleurs en épuisement professionnel, c’est un écran de moins à regarder. Les gens occupés y trouvent la commodité de parler sans l’engagement d’un appel téléphonique. Et dans un monde saturé de courriels où l’efficacité règne, une voix humaine peut être une source d’intimité.

Mais pas trop : contrairement à l’appel téléphonique, la note vocale n’exige pas une attention immédiate ou soutenue, explique Leora Trub, qui dirige le Digital Media and Psychology Lab à l’Université Pace de New York. C’est juste assez de vulnérabilité pour les jeunes Américains qui, en général, ont moins d’amis que les générations précédentes, selon le Survey Center on American Life.

« La note vocale est une tentative de revenir à l’appel, sans pour autant appeler, dit Mme Trub. Appeler est un tabou ; il y a une telle hantise à l’idée d’interrompre la vie des gens. »

Si appeler est tombé en disgrâce, d’autres moyens audio apparaissent. Les messageries directes d’Instagram, Facebook, X et Snapchat proposent toutes des notes vocales. Selon Snapchat, l’utilisation des notes vocales a augmenté de 50 % en deux ans.

Une note vocale est moins intrusive qu’un appel ou un message vocal, estime l’agente immobilière Alana Wakeman, 39 ans.

« Un message vocal a quelque chose d’impératif : quelqu’un veut quelque chose tout de suite », dit Mme Wakeman. Avec les notes vocales, par contre, elle se sent à l’aise de répondre à son rythme, à sa convenance. Dicter une note vocale lui procure du plaisir (parfois parce qu’elle a bu quelques verres, parfois non) et parler aussi longtemps sans être interrompue est enivrant en soi.

Pour les femmes, l’expérience peut être particulièrement exaltante, affirme Lauren McQuistin, une soprano écossaise qui gère la page de mèmes Instagram @brutalrecovery sur le thème de l’alcoolisme et de la sobriété. En personne, on l’interrompt souvent, dit-elle. Au téléphone, il y a une pression pour faire court.

Mais une note vocale peut porter sur tout ou rien – une histoire drôle, des potins ou un monologue émotionnel. Mme McQuistin aime écouter ses amies jongler avec leurs idées à voix haute pendant qu’elle prépare son café du matin. Elle les entend souvent réaliser des percées dans leur cheminement, au beau milieu d’un message. Elle compare cela à un balado, mais le niveau d’engagement de l’auditeur va au-delà de l’interaction parasociale. « Je connais ces gens pour vrai », dit-elle.

Mme McQuistin continue d’appeler et d’envoyer des textos, mais les notes vocales jouent un rôle majeur dans ses amitiés. Elle a passé neuf mois à échanger des textos avec un ami avant de recevoir soudainement une note vocale : « Elle durait sept minutes. » Leur amitié s’est épanouie à partir de là.

L’amour est dans la note vocale

Jack Crawford-Brown est tombé amoureux de sa conjointe lors d’un échange de notes vocales, en préparant une randonnée en groupe. Cet entrepreneur de 31 ans utilise tous les jours les notes vocales, même pour répondre aux employés ou leur donner des instructions.

« Nous sommes la génération balado, explique-t-il. J’aime écouter les gens et être dans leur cerveau. »

Mais tout le monde n’est pas intéressé aux épanchements de ses proches. Annie Ridout, journaliste pigiste à Londres, a trois enfants en bas âge et elle accueille avec frustration les notes vocales envoyées par ses amis durant les heures de travail.

Je suis mère, j’ai du travail et je n’ai pas besoin qu’on m’en rajoute sur le dos.

Annie Ridout, pigiste et mère très occupée

Et ça, c’est un problème, note Mme Trub, de l’Université Pace : les notes vocales peuvent être cathartiques pour l’expéditeur, mais le destinataire peut ne pas avoir le temps, l’intérêt ou une paire d’écouteurs.

Demandez donc à vos amis ce qu’ils préfèrent, suggère Danielle Bayard Jackson, qui se décrit comme « coach en amitié ». Notes vocales ? Appels téléphoniques ? TikTok ? Et interrogez-vous sur votre véritable motivation : voulez-vous vraiment communiquer avec un ami ou cherchez-vous un auditoire pour vos opinions ? Un court texte identifiant le sujet de la note vocale indiquera à vos amis s’il faut – ou pas – écouter tout de suite. (Quelque chose comme « On se voit ce soir ? ou « J’ai perdu deux heures dans un bouchon ».)

Quand un nouvel outil de communication devient populaire, il n’est pas nécessairement meilleur que les précédents ; c’est souvent qu’il répond au besoin du moment, observe Neal Roese, qui enseigne la psychologie du consommateur à l’Université Northwestern de Chicago.

Pour Lauren McQuistin, la chanteuse-blogueuse, envoyer des quasi-balados sous forme de notes vocales durant la journée est une petite rébellion contre un monde qui lui semble triste, impersonnel et trop rapide.

« On nous en demande tellement en ce monde qui s’écroule, dit-elle. J’aime prendre acte à voix haute et savoir que d’autres en sont témoins. Je veux parler de ce qui me fait me sentir en vie. »

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