Que va faire Meta des milliards de données récoltées lors d’échanges en télémédecine ? Un étudiant formé avec un casque de réalité virtuelle sera-t-il aussi compétent ? Et quels sont les effets sur la santé mentale des jeunes des réseaux sociaux et des jeux vidéo ?

En une dizaine de conférences, le symposium Métavers et santé a notamment abordé ces sujets chauds lundi au Palais des congrès de Montréal. « Il y aura plus de questions que de réponses », a prévenu d’entrée de jeu Fabrice Brunet, PDG du Quartier de l’innovation en santé, organisateur de l’évènement. « La frontière entre les mondes réel et virtuel est de plus en plus mince : on a dépassé le stade cinématographique où, dans 2001, l’odyssée de l’espace, une intelligence artificielle prend le contrôle d’un vaisseau spatial », a renchéri l’ex-journaliste Harold Gagné, maître de cérémonie.

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Patricia Conrod, chercheuse au Centre hospitalier universitaire mère-enfant Sainte-Justine

Comme les fumeurs

En 2019, Patricia Conrod, chercheuse au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine et professeure au département de psychiatrie à l’Université de Montréal, avait établi avec son équipe que l’utilisation des médias sociaux pourrait accroître les symptômes de dépression chez les adolescents. Basée sur le suivi de 3767 adolescents de la grande région de Montréal pendant cinq ans, l’étude, qui avait fait grand bruit, a connu une suite en octobre 2023 en établissant que l’utilisation des médias sociaux pouvait être associée à une augmentation de l’impulsivité.

Au-delà des tableaux et des analyses statistiques, les conclusions de Mme Conrod sont cinglantes : « Les réseaux sociaux sont des prédicteurs de dépression. Plus une jeune personne les utilise, plus elle est dépressive. » Elle estime que le déni des responsables des réseaux sociaux s’apparente à la façon dont l’industrie du tabac a traité les fumeurs en niant les résultats de recherches pendant des décennies.

En conférence, elle est allée plus loin dans ses conclusions. Consommation d’alcool problématique, désordres alimentaires, comportements plus agressifs semblent associés à l’utilisation de réseaux sociaux, bien que le lien de causalité soit parfois difficile à démontrer. Elle plaide pour l’établissement d’« espaces sécuritaires » sur les réseaux sociaux où les jeunes ne seraient pas mis en contact avec des contenus nocifs, ainsi que des mesures concrètes d’intervention. « Toutes les études montrent que la prévention et l’intervention diminuent la consommation d’alcool, la dépression, l’anxiété. Exposer les jeunes à des campagnes n’est pas suffisant. »

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Le Dr Patrick Nataf

Apprentissages virtuels

Chirurgien cardiaque et professeur, codirecteur de l’équipe Biomatériaux et technologies immersives à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Patrick Nataf a montré, vidéos à l’appui, comment la réalité virtuelle et augmentée pouvait servir à la formation de jeunes médecins. On pouvait notamment voir un mentor guider les mains de son élève, à distance, pour faire des nœuds sur un cœur en 3D et lui faire visiter les installations d’un hôpital.

On peut enseigner la gestuelle et également la connaissance. On va pouvoir partager nos enseignements. C’est de la formation réelle, on est dans la réalité ici.

Le Dr Patrick Nataf, chirurgien cardiaque et professeur

Un des leaders de cette technologie, la firme allemande Dräger, était bien visible durant tout le symposium avec un kiosque de démonstration. C’est dans la formation des médecins, explique Seana Martin, gestionnaire senior de produit, « qu’il y a présentement un trou ». Évidemment, un médecin ne pourrait être formé uniquement sur des outils virtuels, reconnaît-elle. « Mais celui qui a suivi cette formation est plus avancé. Il restera toujours la partie humaine, mais ils peuvent s’entraîner de façon très efficace. »

Lors d’une table ronde, Patrick Nataf a cependant repéré un angle mort lié à l’utilisation de cette technologie. « La plupart des fournisseurs captent nos données. C’est Meta, Microsoft, pratiquement tous les casques de réalité virtuelle sont des pourvoyeurs de données. Il va falloir être très protecteur et rigide concernant l’utilisation et la protection de la vie privée. »

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Le chercheur et sommité mondiale en intelligence artificielle Yoshua Bengio (à gauche)

Le chercheur Yoshua Bengio s’est dit quant à lui « vraiment enthousiaste » du potentiel de l’intelligence artificielle en santé. Il estime que des avancées très prometteuses pourraient être réalisées, notamment dans la compréhension du fonctionnement des cellules humaines. « Ça pourrait complètement changer la donne, à commencer par la découverte de médicaments. »

Contrairement à des intelligences artificielles génératives comme ChatGPT, difficiles à contrôler, il croit que des systèmes très spécialisés utilisés en santé sont « plus faciles à cerner ». « Il n’y a pas beaucoup de modifications du système qui pourraient être dangereuses. Avec ChatGPT, sky is the limit. »

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Maude Bonenfant, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM

Expériences réussies

Le métavers, avec ses avatars et son utilisation de la réalité mixte, a ses succès, deux conférenciers ont tenu à le démontrer. Au Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, on a par exemple obtenu des résultats impressionnants depuis 2022 pour diminuer l’anxiété du tiers des enfants sur le point d’aller au bloc opératoire. Coiffés d’un casque de réalité virtuelle, ces enfants reçoivent des consignes de relaxation, sont accompagnés par un guide virtuel appelé EQUOO et voient de petits personnages apparaître sur les murs des couloirs.

« Ce n’est pas seulement un logiciel, c’est un écosystème, a expliqué Martin Thibodeau, qui a imaginé le concept. L’anesthésiste dit merci à EQUOO, l’enfant respire dans le masque et il s’endort. À son réveil, il a EQUOO en toutou et il repart à la maison. On a plus de 1000 enfants qui l’ont utilisé. »

Maude Bonenfant, professeure au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et docteure en sémiologie, intervient fréquemment dans les médias pour rappeler les aspects positifs des jeux vidéo. « Il y a d’excellents jeux, comme il y a du bon métavers. Et il y en a des mauvais. »

Les problèmes, souvent, surgissent avec les mécaniques de monétisation des jeux gratuits, qui combinent microtransactions, récolte de données et manipulation pour accrocher les joueurs. « Ces jeux ont souvent développé plusieurs stratégies de design persuasif. C’est là que ça commence à être problématique. » Elle se dit « très en faveur » d’une meilleure réglementation des mécaniques de jeu, et non seulement des contenus, comme la Californie et la Grande-Bretagne en ont implanté.