ChatGPT, dont on craint l’utilisation pour le plagiat, serait-il lui-même un plagiaire qui pille les milliards de documents qui l’ont formé ? À qui appartiennent les textes d’une qualité impressionnante générés par le robot conversationnel ? Un peu comme les MP3 l’ont fait pour la musique, des outils comme ChatGPT vont nous forcer à redéfinir les notions de propriété intellectuelle, estime Benoit Yelle, agent de brevets et associé au cabinet québécois Lavery.

Q. Avec ChatGPT, on parle d’un outil qui, éventuellement, va valoir des dizaines de milliards… Si les textes d’un auteur ont servi à son éducation, pourrait-il y avoir un droit théorique à une compensation ?

R. Je peux aller sur des sites, Wikipédia ou des sites de nouvelles, et m’informer sur un sujet pour ensuite faire une dissertation. Il n’y aura pas d’enjeux de propriété intellectuelle ou de plagiat, je vais m’être informé, inspiré et, par la suite, je vais recréer une autre œuvre qui pourrait être soumise aux droits d’auteur. Dans ce contexte-là, ChatGPT n’a pas de limitation à aller consulter l’information publique.

Q. À quel moment y a-t-il un problème lié à la propriété intellectuelle ?

R. ChatGPT a consulté des milliards de documents, ça devient difficile de s’y retrouver. Si on prend un exemple plus simple, où on donne trois documents sur un sujet donné à un outil d’intelligence artificielle : s’il nous reprend des passages complets de l’un ou plusieurs des documents sources, sans les reformuler, sans aucune modification, il y a probablement un enjeu plus évident de contrefaçon de droits d’auteur. Si l’IA est en mesure de vraiment s’inspirer, plus à la façon de ce qu’un humain pourrait faire, de prendre des idées et de reformuler, de refaire, de reprendre dans de nouvelles formulations les idées contenues dans les trois documents, à ce moment-là, il n’y a pas contrefaçon.

Q. Dans ce que vous avez constaté, voyez-vous une ligne rouge qui a été franchie ?

R. Je ne pense pas qu’en ce moment, ce qu’on voit nous permette de répondre à cette question, malheureusement. Il y a des experts en linguistique qui vont devoir se pencher sur les résultats de l’outil par rapport aux documents sources, avant de pouvoir dire s’il y a concordance ou si c’est une inspiration, et jusqu’à quel point c’en est une. Tout ça n’est pas déterminé et, malheureusement, la loi est toujours à la remorque des avancées scientifiques. On n’a pas d’outil juridique pour s’attaquer à ce genre d’enjeux.

Q. On ne vous a donc pas soumis de cas flagrants de plagiat par ChatGPT ?

R. Pas dans ce cadre-là, pas pour ChatGPT. Il y a des cas dans notre pratique ici, chez Lavery, où on a vu des problèmes de ce type. Il faut préciser que ChatGPT nous apparaît aujourd’hui publiquement, médiatiquement, mais c’est quand même une approche connue qui était utilisée couramment, de prendre des documents et de les synthétiser. La question, c’est si, dans la synthèse, on va réutiliser des phrases complètes. On est plus proche alors d’une contrefaçon de droits d’auteur que s’il y a une reformulation complète.

Q. Quelles sont les solutions ? Imposer, comme on le fait dans une thèse à l’université, une citation claire des sources ? L’interdire ? Payer ceux dont on a utilisé le contenu ?

R. C’est difficile d’y répondre tant qu’on n’a pas quantifié le problème. En admettant qu’il y ait vraiment une réutilisation d’éléments directs des textes existants dans les réponses fournies, c’est une contrefaçon, et il appartient alors au propriétaire de l’œuvre de savoir quel genre de solution on lui apporte. S’il y a contrefaçon, il peut y avoir une infraction. Ça dépend comment la réponse est utilisée, dans un cadre de recherche ou pour des raisons commerciales, si on en fait par exemple un nouveau livre qu’on publie. Si on prend des exemples historiques, le moment où on a pu copier facilement la musique, ça a créé tout un remous dans la façon dont le droit d’auteur doit se gérer. C’est une évolution du droit qui, à mon avis, va arriver inévitablement : plus ces outils-là vont être utilisés, plus il y a de chances que le monde juridique suive.

Pour des raisons de concision et de clarté, cette entrevue a été remaniée.