Docteure en psychologie cognitive, Celia Hodent a contribué à peaufiner l’expérience utilisateur de nombreux jeux, notamment de Fortnite. Depuis 2020, elle s’attaque aux modèles de monétisation trop agressifs qui tentent de lier le joueur. La Presse l’a jointe à Los Angeles.

Comment une psychologue en vient-elle à collaborer à des jeux vidéo ?

J’ai un doctorat en psychologie cognitive, j’ai fait de la recherche sur le développement cognitif, comment fonctionnent les processus mentaux comme la perception, l’attention, la mémoire. Je me suis orientée assez tôt vers le divertissement, vers le jeu. Le jeu est très important pour le développement de l’enfant et aussi pour le maintien de nos neurones et de notre cerveau à l’âge adulte. Assez rapidement, je suis tombée dans le jeu vidéo puisque moi-même, je suis gameuse, j’ai grandi avec le jeu vidéo, je jouais beaucoup avec mes parents. J’ai commencé chez Ubisoft, en France, je suis allée chez Ubisoft à Montréal – je suis restée un hiver, j’ai survécu ! [rires]. J’ai beaucoup apprécié mon temps à Montréal. J’ai eu une opportunité chez Lucas Arts à San Francisco. Je suis arrivée chez Epic Games en 2013 et je suis devenue directrice de l’expérience utilisateur, j’ai travaillé beaucoup sur Fortnite jusqu’en 2017. Ça fait six ans que je suis consultante.

PHOTO FOURNIE PAR CELIA HODENT

Celia Hodent, docteure en psychologie cognitive

Votre nom a été mentionné dans l’action collective contre Fortnite. Que répondez-vous à ceux qui voient en vous une des personnes qui ont contribué à rendre ce jeu addictif ?

Évidemment, en jeu vidéo comme dans n’importe quel produit culturel, on se doit d’être engageant. Mon travail est l’expérience utilisateur, qui se met à la place de la personne. L’objectif dans un jeu vidéo est d’avoir du fun. Est-ce que le jeu est ergonomique ? Est-ce que les gens comprennent ce qu’ils doivent faire ?

Il n’y a donc rien dans un jeu vidéo comme Fortnite qui soit conçu de façon déloyale, en utilisant ce qu’on connaît de l’esprit humain pour rendre les gens dépendants ?

Jamais les développeurs de jeux vidéo ne veulent rendre les gens dépendants. Ce n’est ni voulu ni souhaitable d’un point de vue éthique. L’idée est d’apporter du fun, c’est tout. Les designers de jeu utilisent des mécanismes pour rendre le jeu plus intéressant. Mais c’est très détaché des techniques marketing qui sont utilisées pour faire revenir les gens, non pas parce que le jeu est intéressant, mais parce que si on ne revient pas, on va perdre tous nos crédits ou tout ce qu’on a gagné.

En juillet 2020, vous avez lancé Ethical Games, une campagne proposant un guide pour rendre les jeux plus éthiques.

Ça fait longtemps que j’en parle. Dès le début de 2019, j’ai fait une conférence à la Game Developers Conference disant qu’il y a des questionnements éthiques à avoir sur ce qu’on fait. Si on veut défendre le jeu vidéo comme un art, il faut qu’on soit conscient des pratiques qui ne sont pas du tout éthiques, qui sont là pour engager avec la monétisation, ou faire revenir les gens non parce que le jeu est le fun, mais parce qu’ils se sentent obligés de le faire. Ça, ce sont des éléments qui, de mon point de vue et de celui de pas mal de gens dans l’industrie, posent problème.

Avez-vous en tête des jeux en particulier ?

En fait, le problème, ce ne sont pas tellement les mécaniques de jeu en soi. Souvent, ça va être quelque chose en dehors du jeu. Ça va plutôt être, par exemple, une récompense qu’on peut avoir si on se connecte tous les jours. Si on n’a pas envie de jouer, on ne devrait pas être puni. Il y a des mécanismes qui ne sont pas utilisés uniquement en jeu vidéo, dans le marketing en général dans votre supermarché, dans les avions, ce sont des mécanismes d’aversion à la perte. C’est très répandu et ça existe depuis longtemps, ce n’est pas nouveau. Ces modèles sont maintenant utilisés dans les jeux vidéo, notamment les modèles free to play.

Avez-vous convaincu des studios d’embarquer avec vous ?

J’ai plusieurs studios qui m’ont contactée, qui étaient intéressés par la démarche. Je pense que ce n’est pas encore mûr, je travaille encore à rassembler toute la recherche universitaire sur différents éléments qu’on aborde dans ce code. L’idée est de développer une charte éthique pour le jeu vidéo, mais on veut qu’elle soit basée sur la science, pas sur les paniques morales qu’on peut entendre ici et là. Ça va prendre encore un peu de temps.

Pour des considérations de concision et de clarté, cette entrevue a été remaniée.