Sans autre soutien, l’administration municipale qui bannira la distribution universelle du Publisac signera en même temps l’arrêt de mort de ses hebdos, selon leurs propriétaires-éditeurs. La Ville de Montréal, qui avait sonné l’hallali du Publisac au printemps, vient d’annoncer un soutien ponctuel aux journaux locaux. Mais il ne règle pas le problème de distribution… ni le destin des hebdos en région.

La Ville de Montréal a annoncé vendredi un programme d’aide ponctuelle pour les journaux imprimés, doté d’un financement de 2 millions de dollars.

« Dès le 1er décembre 2022, les propriétaires de journaux locaux imprimés pourront déposer une demande de subventions pour chaque journal local produit et qui répond à quelques critères », a indiqué Luc Rabouin, responsable du développement économique et commercial au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal.

Chaque journal pourra recevoir une subvention non remboursable de 85 000 $.

Un soutien bien accueilli par Andrew Mulé, président-directeur général de Métro Média, qui publie 15 journaux locaux sur les deux douzaines que la Ville pense rejoindre avec ce programme.

« L’annonce d’aujourd’hui nous permet de regarder 2023, dit-il. Ça nous permet de survivre à une crise de revenus pour regarder l’avenir, et ensuite nous concentrer sur de nouvelles pistes de revenus et de soutien d’autres gouvernements. »

Mais elle ne règle pas son problème de distribution, ajoute-t-il.

Les critères de la subvention de la Ville de Montréal aux journaux locaux

  • L’éditeur doit être propriétaire ou occupant d’un immeuble situé dans l’agglomération montréalaise
  • Distribution du journal aux portes des résidants du territoire
  • Tirage d’au moins 3000 exemplaires
  • Être rédigé par au moins un journaliste de contenu
  • Être distribué au moins six fois par année
  • Avoir pour but d’informer la population locale

Car les hebdos québécois dépendent du Publisac comme autrefois les télégrammes du fil télégraphique.

Sans distribution dans le Publisac — ou un succédané —, pas d’hebdos.

TC (Transcontinental) livre « une centaine d’hebdos locaux aux quatre coins du Québec », indique son vice-président des communications d’entreprise et affaires publiques, François Taschereau.

Une symbiose où la Ville de Montréal voit l’un des deux partenaires comme un parasite.

Le 11 avril 2022, la mairesse Valérie Plante avait annoncé qu’à partir de mai 2023, la distribution des imprimés publicitaires serait restreinte aux citoyens qui en exprimeront le désir — ce qu’on appelle opt-in, ou adhésion volontaire.

Transcontinental a répliqué que cette formule était incompatible avec la distribution du Publisac au porte-à-porte.

« Le système d’adhésion volontaire ou opt-in, à cause de sa complexité et des coûts prohibitifs qu’il engendrerait, n’est pas viable pour la distribution porte-à-porte du Publisac par TC Transcontinental », a informé François Taschereau par courriel.

La conséquence est directe pour les hebdos montréalais : la disparition du Publisac les privera de leur principal canal de distribution.

« Sans un mode de distribution abordable et sans aide publique concrète, nous risquons d’assister à la disparition prochaine et définitive de la presse locale », a écrit Andrew Mulé, dans une récente lettre ouverte.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Andrew Mulé, président-directeur général de Métro Média

Je pense qu’on est à un point très critique dans le journalisme local et la presse locale.

Andrew Mulé, président-directeur général de Métro Média

La seule annonce de la mairesse Plante, en avril dernier, a déjà entraîné le retrait de certains annonceurs.

« Notre distributeur a été démonisé par la Ville, soulève-t-il. Pour une industrie qui est déjà fragile, il y a eu des conséquences majeures vis-à-vis de nos clients qui soutiennent notre travail journalistique. »

Le ressac du sac

Le bannissement n’est pas que montréalais.

La Ville de Mirabel avait ouvert le bal en octobre 2019, en interdisant la distribution universelle du Publisac.

« Présentement, on sent qu’il y a d’autres villes qui regardent aller la Ville de Montréal et ont peut-être idée de mettre en plan un règlement similaire, mais il y a une conséquence médiatique pour le reste du Québec », prévient Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec, qui regroupe 75 journaux régionaux.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec

Ça nous inquiète, et ce n’est pas parce qu’on est pro-Publisac. On est conscients qu’il y a un enjeu environnemental, avec tout le papier qui est distribué de porte à porte. Mais il faut comprendre que depuis 35 ans, la distribution de circulaires subventionne en partie la distribution des hebdos dans l’ensemble du Québec.

Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec

« Pour l’île de Montréal, c’est un enjeu, poursuit-il, mais si on pense qu’on va enlever le sac à Trois-Rivières, puis à Saint-Georges-de-Beauce, et qu’ensuite on va le bannir à Rimouski et à Rivière-du-Loup, c’est sûr que notre écosystème ne tient plus. Il ne peut plus fonctionner. »

La frêle importance des hebdos

Une vague de retrait des sacs entraînerait un dur ressac pour les hebdos, piliers aux fondations sablonneuses de l’information locale.

« Les hebdos au Québec, c’est 100 journaux, 40 éditeurs propriétaires, 2,5 millions d’exemplaires imprimés par semaine, et 250 journalistes. C’est du journalisme, ça ! On ne peut pas se passer de ça ! », s’exclame Benoit Chartier, lui-même président de DBC Communications, qui distribue 5 hebdos en Montérégie.

« En fait, la crainte qu’on a, c’est que ça crée des déserts médiatiques, concourt Michaël Nguyen, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Quand on parle du Publisac pour la FPJQ, ce qui est important, c’est la diffusion des hebdos. On ne regarde pas le côté publicitaire. »

Pour nous, c’est vraiment une question d’informer le public parce que les hebdos remplissent un mandat que beaucoup de grands médias ne font pas. C’est une information qui est plus locale, variée, complémentaire et qui est essentielle.

Michaël Nguyen, président de la FPJQ

Essentielle, mais fragile. Entre 2011 et 2020, le milieu des hebdos régionaux est passé de 200 titres à 113, selon une enquête du Centre d’études sur les médias.

« Je pense qu’on peut s’attendre à encore plus de fermetures », relève Colette Brin, directrice du Centre et professeure titulaire au département d’information et de communication de l’Université Laval.

« C’est le secteur qui a été le plus touché par des fermetures dans les médias depuis que l’on constate les déclins des revenus publicitaires. On a tendance à voir les hebdos comme un média un peu mal aimé, une source secondaire, mais il y a des hebdos qui ont quand même réalisé des enquêtes, reprises ensuite par des quotidiens et d’autres médias, parce qu’ils ont le doigt sur le pouls de la communauté. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le 22 septembre dernier, la Communauté métropolitaine de Montréal a demandé au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada d’imposer un moratoire sur la distribution « d’articles publicitaires non sollicités » par Postes Canada.

Postes Canada : une porte de sortie et d’entrée ?

Le seul autre grand distributeur universel au pays est Postes Canada.

Transcontinental tente de passer par la porte arrière en lui confiant la distribution de son Publisac. Des expériences sont déjà en cours dans certains quartiers montréalais.

La mairesse Valérie Plante a vigoureusement dénoncé ce coup de Jarnac, en sommant Postes Canada de respecter la volonté des citoyens, exprimée par la réglementation municipale. Postes Canada a répliqué que l’auguste institution avait la responsabilité et l’obligation de livrer tout le courrier qui lui est confié.

Est-ce que la mairesse de la ville de Montréal est anti-médias ? Moi, je suis rendu à me poser cette question-là. Elle est allée dire que les journaux pourront continuer de passer porte à porte, mais ce n’est pas simple comme ça, la vie !

Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec

Le 22 septembre dernier, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui regroupe 88 municipalités, a demandé à la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, Helena Jaczek, d’imposer un moratoire sur la distribution « d’articles publicitaires non sollicités » par Postes Canada.

Les hebdos peuvent en principe être distribués directement par Postes Canada, sans Publisac. Mais les coûts de distribution se trouvent alors à quadrupler, estime Andrew Mulé.

« On ne peut pas faire face à ça sans aide, dit-il. Chez Métro, si on doit convertir nos journaux à Postes Canada, c’est la fin de nos produits. »

Benoit Charest diverge sur les détails, mais confirme le pronostic.

« Avec Postes Canada, on parle d’entre 100 $ et 120 $ du 1000 pour la distribution porte à porte », calcule-t-il. « Avec Publisac, on peut parler d’entre 50 et 60 $. C’est le double des coûts de distribution qui, du jour au lendemain, vont apparaître. »

Les hebdos ne réussiront pas une telle transition sans soutien.

Les suggestions du milieu

Avec son annonce de subvention, la Ville de Montréal répond à une des trois recommandations du Comité aviseur sur les journaux locaux de la Ville de Montréal, dans son rapport rendu en janvier 2022.

Les deux autres demandaient la publication des avis publics et appels d’offres municipaux dans les journaux locaux et la création d’un cahier municipal d’informations civiques et commerciales qui serait glissé dans les journaux locaux.

« C’est la prochaine étape, c’est ce qui nous reste à faire, et on devrait, d’ici la fin de l’année, préciser nos plans là-dessus », a indiqué Luc Rabouin lors de son point de presse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Luc Rabouin, responsable du développement économique et commercial au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal, vendredi, lors de l’annonce concernant le soutien aux journaux locaux imprimés

L’aide accordée par Montréal n’aidera cependant en rien les hebdos régionaux, si l’abolition du Publisac se répand.

« On regarde aller le dossier, mais si ça empire, on va faire pression sur le ministre Rodriguez pour nous aider à payer la différence pour ce qui est de la distribution, affirme Benoit Chartier. On va aussi aller voir le gouvernement du Québec, au ministère de la Culture et des Communications. Il va falloir aussi qu’on fasse des démarches avec Postes Canada, parce que si on est distribués par eux, ça demande toute une nouvelle logistique : les formats, l’épaisseur, le poids. »

Coïncidence, le 20 octobre, deux jours après cet entretien, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a annoncé une aide financière supplémentaire pour soutenir le journalisme local.

Un nouvel investissement de 40 millions sur trois ans, dans le cadre de son Fonds du Canada pour les périodiques, comprend notamment une somme de 1,5 million pour soutenir les projets innovateurs des magazines et les journaux communautaires. Il prévoit également un ajout de 10 millions de dollars dans l’Initiative de journalisme local.

Je pense que le gouvernement fédéral, pour la première fois, comprend très bien ce que sont les journaux locaux, et il est en train de les viser. Mais les critères ne sont toujours pas clairs sur la façon dont ça va nous affecter.

Andrew Mulé, président-directeur général de Métro Média

« Par contre, ça ne règle pas notre problème de distribution », a-t-il ajouté.

En ligne, ligne de survie ?

Avec un soutien gouvernemental, quelle que soit sa forme ou sa provenance, Andrew Mulé espère gagner du temps pour concrétiser la transition numérique déjà engagée pour certains de ses titres.

Mais ce qui constituera peut-être une ligne de vie à Montréal n’offre pas autant d’espoir pour les hebdos régionaux.

« La numérisation des hebdos, c’est possible, mais monétiser notre publicité numérique est quand même assez complexe », observe Benoit Chartier.

Pour nous, c’est sûr que la publicité imprimée est en décroissance. Mais en région, les gens attendent encore leur exemplaire papier. Il y a encore des annonceurs qui préfèrent annoncer sur papier.

Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec

Malgré tout, une lueur semble frémir de ce côté.

Colette Brin souligne l’existence à Québec d’un réseau de médias locaux en ligne regroupés sous le parapluie monquartier.quebec : monlimoilou, monsaintroch, etc.

« Ce sont des sources d’information vraiment très intéressantes et très originales, avec à la fois une qualité journalistique et une orientation avec un style un peu plus web, constate-t-elle. Je pense que c’est un exemple de ce que pourraient être ces nouvelles pousses qu’on va voir, j’espère, apparaître. »

Pour autant, le sort de l’hebdo imprimé n’est pas encore scellé.

« Est-ce qu’à long terme, c’est l’abolition totale du papier ? Je ne suis pas encore convaincu de ça, affirme Andrew Mulé. Je pense qu’il y a là un rendez-vous qui est unique à notre industrie et qui pourrait persister. Mais en même temps, moi, j’écoute les lecteurs. Si c’est ce qu’ils veulent, c’est ce qu’on va faire. »