(Ottawa) YouTube soutient que les créateurs canadiens de contenu numérique, y compris les influenceurs et les diffuseurs, pourraient perdre des revenus à l’étranger si Ottawa obligeait les plateformes en ligne à promouvoir le contenu canadien.

Le projet de loi qui obligerait You Tube et d’autres plateformes de diffusion continue en ligne à promouvoir activement le contenu canadien risquerait de nuire à la popularité de ce contenu à l’étranger, selon une note de l’entreprise, consultée à condition de ne pas l’attribuer à un responsable en particulier. Cela signifierait également de priver de nombreux youtubeurs canadiens de revenus sur lesquels ils comptent, prévient-on.

YouTube craint que la loi proposée par les libéraux sur la diffusion continue en ligne, destinée à promouvoir le contenu canadien, ne fausse les algorithmes qui sont utilisés par les plateformes pour arrimer l’offre de contenu au plus près des préférences des utilisateurs.

Le professeur Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’internet et du commerce électronique, à l’Université d’Ottawa, croit lui aussi que le projet de loi pourrait avoir cet effet pervers.

« Le Canada joue actuellement dans la cour des grands pour ce qui concerne la création de contenu, un secteur qui rapporte des milliards de dollars de revenus à l’échelle mondiale », a déclaré le professeur Geist. « Nous parlons d’une énorme perte potentielle de revenus pour les producteurs de contenu canadien. »

Selon lui, le projet de loi C-11 ferait en sorte que des plateformes telles que YouTube et TikTok « alimenteraient de force du contenu canadien » que les gens n’auraient pas choisi d’emblée de regarder, plutôt que du contenu organisé correspondant à leurs goûts. Or, si les gens ne choisissent pas le contenu canadien qui leur est proposé, cela pourrait suggérer que ce contenu n’est pas populaire, ce qui pourrait entraîner ensuite une promotion moins importante dans le monde.

Pas de pouce en l’air, pas de visibilité

L’algorithme de YouTube, qui s’applique au-delà des frontières, peut détecter si une vidéo a été regardée, ignorée ou désactivée en cours de route, et si elle obtient un « pouce en haut » ou non. Cela influence la façon dont le contenu est promu non seulement au Canada, mais ailleurs dans le monde. Ainsi, les vidéos que peu de gens regardent ont tendance à être plus difficiles à trouver.

Si les gens ne sélectionnent pas le contenu canadien qui leur est proposé, s’ils indiquent qu’ils ne l’aiment pas ou choisissent plutôt une autre vidéo, cela pourrait entraîner le déclassement automatique, dans le monde, du contenu qui n’a pas été choisi, n’a pas été « aimé » ou n’a pas été visionné jusqu’au bout.

Le projet de loi, actuellement en deuxième lecture à la Chambre des communes, soumettrait les entreprises de diffusion continue en ligne, comme Netflix, aux mêmes règles que les diffuseurs canadiens traditionnels. Cela obligerait les entreprises en ligne à offrir un quota de contenu canadien et à investir massivement dans les industries culturelles canadiennes, notamment le cinéma, la télévision et la musique.

Le projet de loi C-11 mettrait à jour la Loi sur la radiodiffusion, mise en vigueur en 1991, donc avant la révolution internet, qui a changé radicalement la façon dont les gens écoutent de la musique ou visionnent des films et des vidéos.

Le projet de loi couvre également des plateformes telles que YouTube et TikTok, qui font la promotion de créateurs de contenu strictement numérique, comme les influenceurs ou les youtubeurs qui publient des vidéos de bricolage et des commentaires en direct sur les jeux vidéo.

Le gouvernement fédéral affirme que le projet de loi ne réglementerait pas le matériel généré par les utilisateurs, et donnerait aux plateformes la possibilité de décider comment elles font la promotion du contenu canadien.

Laura Scaffidi, porte-parole du ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, a déclaré que la loi donnerait aux plateformes de diffusion en ligne la flexibilité de « choisir comment elles contribuent et comment elles facilitent la recherche de contenu commercial canadien ».

Les pouvoirs du CRTC

YouTube affirme que plus de 90 % du temps de visionnement du contenu produit par les chaînes YouTube canadiennes provenait de l’extérieur du pays en 2020. Le nombre de créateurs canadiens gagnant 100 000 $ sur la plateforme augmente rapidement chaque année.

En 2020, Oxford Economics a calculé que YouTube avait contribué pour 923 millions au produit intérieur brut du Canada, y compris les paiements provenant des publicités accompagnant les vidéos YouTube et les paiements de redevances aux maisons de disques. Les vidéos populaires ont tendance à recevoir de plus grandes quantités de publicité et les annonceurs ont également tendance à payer plus.

Le projet de loi C-11 met à jour des sections d’un projet de loi précédent, après que certains ont craint que le gouvernement réglemente les gens qui publient des vidéos sur YouTube.

Le projet de loi mis à jour, a déclaré M. Rodriguez, ne couvrirait que le contenu commercial des médias sociaux, tels que les vidéos musicales professionnelles, et n’inclurait pas les vidéos personnelles populaires publiées sur YouTube, comme les vidéos de chats. M. Rodriguez a ajouté une ligne dans le nouveau projet de loi pour exempter un tel contenu.

Mais selon YouTube, une évaluation juridique du texte actuel donnerait toujours le pouvoir au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de réglementer le matériel généré par les utilisateurs.

« Des définitions plus claires et un langage plus précis sont nécessaires pour s’assurer que le projet de loi ne s’applique pas involontairement aux créateurs numériques et qu’il n’a pas d’impact négatif sur les milliers de créateurs canadiens sur YouTube et les millions de Canadiens qui utilisent YouTube chaque jour », a déclaré Jeanette Patell, vice-présidente aux affaires gouvernementales et aux politiques chez YouTube Canada.

« Le ministre Rodriguez a été clair sur le fait que le projet de loi C-11 n’est pas destiné à avoir un impact sur les créateurs numériques. Nous nous concentrons sur la collaboration avec les fonctionnaires pour nous assurer que cette intention est fidèlement reflétée dans ce texte législatif extrêmement complexe. »