(Montréal) Québecor estime que les critères d’admissibilité à divers programmes d’aide aux médias la désavantagent par rapport aux concurrents. L’empire médiatique, qui possède notamment Le Journal de Montréal et la chaîne généraliste TVA, a entamé récemment de nouvelles démarches auprès du gouvernement du Québec afin que ses médias spécialisés aient accès au crédit d’impôt pour appuyer la transformation numérique des médias.

La société montréalaise a mandaté un lobbyiste afin de la représenter auprès du ministère des Finances. Québecor demande d’élargir les critères d’admissibilité du crédit afin que Le Sac de chips, En 5 minutes, Porte-monnaie, Billie, Silo57 et Pèse-sur-start soient admissibles.

« L’attestation permettra à l’entreprise de bénéficier du crédit d’impôt afin de soutenir les activités de ces médias, et ainsi contribuer à la sauvegarde de la presse écrite québécoise », écrit Claude E. Jodoin, avocat spécialisé en droit fiscal chez Fasken à Montréal, dans son inscription au Registre des lobbyistes du Québec. Son mandat a commencé le 27 septembre et a une durée d’un an.

En entrevue, Mathieu Turbide, vice-président des contenus numériques chez Québecor, précise que ce mandat fait partie d’une série d’interventions plus larges qui concernent aussi d’autres programmes et d’autres médias. « On veut un soutien universel, plaide-t-il. On ne veut pas de solutions taillées sur mesure pour un média ou pour un autre. »

M. Turbide affirme que les critères du crédit d’impôt pour la transformation numérique des médias, mais aussi celui pour soutenir la presse écrite, « pénalisent » Québecor.

Le crédit d’impôt pour la transformation numérique prévoit un remboursement de 35 % des frais de conversion numérique engagés par un média écrit papier, numérique ou mobile jusqu’à un montant maximal de 7 millions $. Le crédit pour le soutien de la presse écrite accorde un crédit d’impôt remboursable de 35 % sur le salaire des journalistes jusqu’à un montant maximal de 26 250 $ par employé.

Une question de structure

Pour être admissible à ces deux crédits, un média doit couvrir au moins trois thèmes d’une liste en contenant sept : la politique, le monde municipal, la situation internationale, la culture, les affaires et l’économie, les nouvelles locales et les faits divers.

Or, les médias spécialisés de Québecor ne couvrent pas trois des sept thèmes énoncés. C’est le cas du Sac de chips, un site de potins et de nouvelles insolites virales, ou de Silo57, dont la thématique est l’art de vivre.

Québecor a choisi de diffuser ces contenus spécialisés dans un média ayant une identité propre, car il estime que cette stratégie permet de mieux joindre son public cible, explique M. Turbide. Cette décision d’affaires vient disqualifier du crédit d’impôt sur les salaires les journalistes qui y travaillent. Par contre, les journalistes qui couvrent ces thématiques au sein d’un média écrit généraliste sont admissibles, déplore-t-il.

M. Turbide aimerait également que son agence de presse QMI ait accès aux crédits, ce qui n’est pas le cas des agences de presse. Il aimerait aussi que ce soit le cas pour les journalistes télé de TVA et LCN. « On a des salles de nouvelles qui sont soumises au même stress par rapport à la concurrence publicitaire des géants du web. »

Au ministère des Finances, on n’était pas en mesure de fournir une réaction immédiate.

Faut-il une aide ?

Avant d’accorder l’argent des deniers publics aux médias spécialisés de Québecor, le gouvernement devrait réfléchir à leur mission sociale, croit Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM. « Il faut de l’argent public pour soutenir les médias, mais ce n’est pas un buffet. »

S’il trouve que le site En cinq minutes a un volet éducatif, il croit que les contribuables ne devraient pas financer Le Sac de chips, qui publie du contenu de divertissement pour attirer les clics, selon lui. « Le Sac de chips, c’est le gras trans de l’information. »

Il ajoute que les médias qui reçoivent de l’argent des contribuables devraient répondre à des normes et rendre des comptes, comme le fait Radio-Canada qui a un ombudsman. Il estime que la participation de Québecor au Conseil de presse du Québec devrait être une condition à l’obtention d’une aide publique. Le Journal de Montréal et Groupe TVA ne sont plus membre du Conseil depuis 2010 et 2008, respectivement. Les médias spécialisés de Québecor n’en sont également pas membres.

M. Turbide ne croit pas que l’adhésion au Conseil de presse devrait être une condition. Il « ne voit pas le lien » entre le tribunal d’honneur et l’aide aux médias. « Je pense qu’on est une entreprise de presse qui a fait ses preuves pour la qualité de l’information qu’on diffuse jour après jour, répond M. Turbide. Nos journalistes sont tout aussi respectables et professionnels que ceux des autres médias. »