Si la fusion des bourses de Toronto et de Londres se concrétise, plus rien n'arrime à Montréal son leadership dans les produits dérivés, sa spécialité.

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À tout moment, précise une clause méconnue de cette transaction de 3,2 milliards de dollars, la nouvelle entité pourrait choisir de déménager la direction et le siège social de la division des produits dérivés à l'extérieur du pays.

«Montréal possède une expertise reconnue dans les produits dérivés. Mais l'industrie est si dynamique et connaît tellement de bouleversements que ce ne sera peut-être pas éternel», a noté Carolyn Quick, directrice des communications du Groupe TMX.

Qui plus est, le nouveau conseil d'administration des deux parquets regroupés ne sera pas tenu de réserver un siège à un administrateur québécois.

En effet, l'influence canadienne sur ce conseil d'administration risque fort de se diluer après le quatrième anniversaire de cette transaction. C'est à ce moment que prendront fin les principaux engagements des promoteurs de cette fusion.

Sur ce conseil de 15 membres, 7 administrateurs devront être de nationalité canadienne au départ. Après quatre ans, toutefois, seulement trois sièges sont réservés d'office à des Canadiens.

Ainsi, les architectes de cette fusion entrevoient clairement la possibilité que les bourses de Toronto et de Londres s'allient à une autre institution boursière, ce qui forcerait les Canadiens à se tasser pour laisser leurs sièges à de nouveaux administrateurs.

La moitié des administrateurs canadiens doivent être indépendants. Et le quart des administrateurs indépendants doivent être québécois, précise l'entente.

Dans l'éventualité où il ne reste plus que trois administrateurs canadiens au conseil de cette bourse transatlantique, aucun Québécois n'obtiendrait un siège d'entrée de jeu. Et cela, parce que l'accord de fusion précise qu'on arrondit vers le bas la présence québécoise, réduite à 0,375 administrateur!

La composition du conseil d'administration des bourses de Toronto et de Londres a attiré l'attention d'un comité spécial de parlementaires ontariens qui a tenu quatre journées d'audiences publiques en mars. Dans son rapport final rendu public lundi, ce comité recommande que les administrateurs canadiens soient aussi nombreux que les administrateurs européens (britanniques et italiens). De plus, aucune clause crépusculaire ne devrait limiter cet engagement dans le temps, comme le texte de l'entente le prévoit actuellement.

«On nous a présenté cette transaction comme une fusion entre égaux. Mais quand nous l'avons étudiée en détail, c'est devenu clair que ce n'est pas le cas», a dit le président de ce comité spécial, le député Gerry Phillips, en entrevue à La Presse Affaires.

Ce comité spécial a transmis son rapport au ministre des Finances de l'Ontario, Dwight Duncan. Mais ce sont les commissions des valeurs mobilières de l'Ontario et du Québec, de même que le gouvernement fédéral, qui auront le dernier mot sur ce projet de fusion.

Le député Gerry Phillips raconte avoir été alarmé par les propos tenus par le président du conseil de la Bourse de Londres, Chris Gibson-Smith, dans une entrevue accordée en février au quotidien The Telegraph.

«Nous avons pris la même approche que lorsque nous avons fusionné avec la Borsa Italiana, en confiant les responsabilités aux meilleurs éléments des deux entreprises. Londres a obtenu le poste de chef de la direction et la majorité au conseil; toute l'entreprise sera réglementée par la Financial Services Authority. Je ne pense pas que Londres a perdu quoi que ce soit, mais a gagné le Canada», a-t-il dit pour rassurer les lecteurs britanniques du Telegraph.

Les clauses qui limitent la portée des engagements des dirigeants des bourses de Toronto et de Londres se trouvent dans deux annexes à la toute fin de l'entente de 214 pages. C'est aussi là que l'on apprend que les unités d'affaires, comme la direction des produits dérivés, à Montréal, ou la direction des finances, à Toronto, peuvent être transférées dans un autre pays à tout moment.

Si le Canada devait perdre la direction mondiale des produits dérivés, il devrait être dédommagé en obtenant la direction d'une autre division, précise l'entente, afin de respecter un équilibre global. Toutefois, rien ne garantit que cette autre direction serait établie à Montréal ou même au Québec.

«Nous avons besoin de flexibilité afin de pouvoir nous adapter aux nouvelles dynamiques mondiales», a expliqué Carolyn Quick. La responsable des communications du Groupe TMX a toutefois cherché à se faire rassurante. Même si la direction des produits dérivés devait quitter le pays, le siège social et le bureau de direction de la Bourse de Montréal et de la Corporation canadienne de compensation des produits dérivés resteront dans la métropole, conformément aux engagements pris lors de la fusion des bourses de Montréal et de Toronto.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca