Des partenaires commerciaux lui réclament collectivement un peu plus de 635 000 $

Le distributeur de bières et d’autres boissons d’ici Transbroue est dans la tourmente : certains de ses partenaires commerciaux affirment vivre une relation tendue avec l’entreprise, propriété du Groupe Triani, qui tarderait à leur remettre le produit de la vente de leurs boissons. Dans une poursuite déposée le 11 août à Montréal, ils lui réclament collectivement un peu plus de 635 000 $.

« Il y a eu un bris de confiance. On a essayé de trouver des solutions avec le partenaire. Elles sont un peu restées lettre morte. Ça n’est pas de gaieté de cœur qu’on a engagé une poursuite », dit Bastien Poulain, président et fondateur de 1642, qui produit des tonics et d’autres boissons sans alcool.

Selon les documents déposés à la Cour supérieure le 11 août, Transbroue devrait 95 542 $ à 1642.

Quatre microbrasseries signent également la poursuite : À l’abri de la tempête, des Îles-de-la-Madeleine, La Chouape, de Saint-Félicien, Brasserie Générale, de Charlesbourg, et Champ libre, de Mercier, près de Châteauguay. Le Club Kombucha complète le groupe des six plaignants.

Transbroue s’occupe notamment de la représentation et de la vente de bières de microbrasseries et d’autres boissons. À la fin de l’été 2022, ce distributeur bien connu dans le milieu brassicole changeait de main : en achetant le groupe Glutenberg, Triani devenait propriétaire des brasseries Oshlag et Vox Populi et de Transbroue.

Triani exerçait déjà ses activités dans le milieu des boissons. L’entreprise a commencé par faire de l’embouteillage de vin importé autour de 2015, avant de prendre de l’expansion avec l’achat d’autres entreprises, toujours dans le monde des boissons, alcoolisées ou non.

« Les problèmes ont vraiment commencé avec l’acquisition par Triani », indique Anne-Marie Lachance, d’À l’abri de la tempête. Il y avait déjà un retard dans les paiements par Transbroue, mais la communication était bonne. Elle a été plus difficile avec les nouveaux propriétaires. La microbrasserie des Îles-de-la-Madeleine a finalement décidé de quitter Transbroue au printemps, à la fin du contrat qui les liait. Elle réclame aujourd’hui 141 403 $ dans cette poursuite commune.

Les autres plaignants contactés par La Presse confirment tous des délais de paiement irréguliers, des retards et des relations tendues avec Triani.

C’est ce qui a mené au regroupement et à la poursuite commune des six PME dans laquelle on indique que Transbroue « est en défaut de remettre aux demanderesses d’importantes sommes en lien avec la vente de leurs produits ».

Pour certaines de ces PME, les sommes réclamées sont essentielles à la poursuite de leurs activités, est-il indiqué dans la poursuite.

Les nouveaux propriétaires

C’est un couple d’entrepreneurs qui est derrière Triani : Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture.

Joint mardi en fin de matinée, Tristan Bourgeois Cousineau, président de l’entreprise, affirmait n’avoir toujours pas reçu la poursuite, mais précisait que lui-même est en litige avec les anciens propriétaires de Glutenberg.

« Le processus est judiciarisé avec les anciens actionnaires », dit-il, affirmant que la transaction contenait des irrégularités, mais préférant ne pas donner plus de détails, le processus étant entre les mains de la justice.

« C’est une suite de poursuites », précise Tristan Bourgeois Cousineau, laissant entendre que c’est la situation dans laquelle la transaction avec Glutenberg aurait placé l’entreprise qui serait la cause de son non-paiement à ses cocontractants.

En aucun cas on ne veut brimer qui que ce soit dans cette histoire-là.

Tristan Bourgeois Cousineau, président de Triani

Dans ses procédures judiciaires, Triani soutient que les actionnaires minoritaires de Glutenberg – ce qui exclut donc la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a investi 2,5 millions dans le groupe en 2017 – ont fourni des renseignements trompeurs sur les stocks de l’entreprise et qu’il a en conséquence perdu beaucoup d’argent. Il leur réclame 1 047 815 $, dans une réponse à la poursuite initiale intentée par un des anciens actionnaires qui poursuit Triani pour récupérer une somme retenue sur le prix de vente. La poursuite est toujours en cours et les positions de chacune des parties sont contestées.

Tristan Bourgeois Cousineau précise qu’il préférerait passer par un processus de médiation, aussi bien avec les microbrasseries qu’avec les anciens actionnaires de Glutenberg, plutôt que par les tribunaux.

Mercredi matin, Bastien Poulain et son entreprise 1642 ont reçu des avocats de Transbroue une proposition de règlement.

Cependant, si 1642 accepte cette proposition, elle doit notamment s’engager « à ne pas nuire aux opérations » de Transbroue, Triani ou ses filiales, est-il indiqué dans le document, obtenu par La Presse. Plus précisément, les administrateurs, les actionnaires et les représentants de 1642 « s’engagent à ne pas tenir ni directement ni indirectement des propos portant atteinte à la réputation » du groupe.

En cas de non-respect de cet engagement, c’est 1642 qui devrait payer une pénalité de 25 000 $.

Bastien Poulain n’a pas accepté la proposition de Transbroue.

Des délais lourds de sens

Pierre-Hugo Houle est président de la Brasserie Générale. Avec 154 225 $, cette petite entreprise de Charlesbourg réclame la somme la plus importante dans la poursuite commune contre Transbroue. Son président a passé une grosse partie de son mois de juillet à transformer son modèle d’affaires et ses prévisions d’affaires pour s’ajuster à ce manque à sa trésorerie qui est appréciable dans ses actifs. « On sauve les meubles », dit-il.

La relation commerciale entre Transbroue et cette brasserie est récente. Pierre-Hugo Houle avait déjà fait affaire avec ce distributeur et est revenu vers lui au début de cette année, attiré par le service clés en main de Transbroue. Il s’agit d’une entente de consignation : Transbroue fait payer les clients au nom de la brasserie et doit lui remettre les sommes perçues selon les termes de l’entente.

Ce qu’on vit en ce moment, c’est hallucinant à quel point c’est irrespectueux.

Pierre-Hugo Houle, président de la Brasserie Générale

« Je n’ai jamais vécu ce qu’on vit aujourd’hui avec Transbroue avec les anciennes administrations », dit-il.

Les bières de la Brasserie Générale sont toujours distribuées par Transbroue, qui lui verse une partie des sommes dues, de manière irrégulière et avec des retards, selon Pierre-Hugo Houle, qui dit que cette façon de faire est « systémique » puisque plusieurs collègues brasseurs lui ont fait part d’expériences similaires, en privé.

Pour sa part, la brasserie Champ libre a décidé de rompre ses liens avec Transbroue au printemps plutôt que de poursuivre la relation professionnelle avec le nouveau propriétaire, Triani.

« Le stratagème, je l’ai vu venir rapidement », dit Patrick Cool, président de Champ libre, en expliquant que de petites entreprises peuvent se sentir coincées dans cette situation et décider de rester en relation avec un partenaire même si les paiements ne sont pas versés comme prévu dans leur entente. Cet entrepreneur décrit le milieu brassicole comme un monde de passionnés, qui travaillent fort.

Le milieu brassicole est en décroissance et ton distributeur retient ton argent. En bon québécois, tu es vraiment dans la merde.

Patrick Cool, président de Champ libre

« Ça n’aurait jamais dû arriver dans l’équation, un joueur comme Triani, dit-il. Surtout pas contre notre volonté, parce qu’ils ont acheté Transbroue. »

Une entreprise habituée aux poursuites

Selon le registre des poursuites judiciaires, le Groupe Triani s’est fait poursuivre 22 fois depuis 2019 ; Vin Triani s’est quant à elle fait poursuivre 9 fois et est elle-même demanderesse dans une autre poursuite depuis 2018. Cela exclut les poursuites contre Transbroue ou les dirigeants de la compagnie.

Parfois, les conflits se transforment en tirs croisés : Triani est à la fois l’initiateur de la poursuite et la partie poursuivie, comme c’est le cas avec Glutenberg. C’est aussi le cas dans un litige qui opposait la société ontarienne Black Fly à Thirsty Beverages, une entreprise de production de boissons.

Car en plus de faire de la distribution de bière, de cola ou de kombucha, Triani possède des entreprises qui produisent de l’alcool ou qui en achètent de partenaires. En 2018, Thirsty et Black Fly ont conclu une entente pour la production de boissons alcoolisées par Thirsty, destinées au marché québécois, mais l’affaire a tourné au vinaigre.

Des documents judiciaires citent plusieurs points de discorde, dès le début de la relation professionnelle, dont des montants de vente non remis à Black Fly. « Il devenait limpide comme du cristal que Thirsty Beverages ne payait pas Black Fly pour les ventes québécoises des produits Black Fly, mais récoltait l’argent des ventes et le gardait », est-il détaillé dans un interrogatoire écrit déposé au dossier de la Cour.

On y évoque également une relation difficile avec Tristan Bourgeois Cousineau.

Black Fly réclamait plus de 558 856 $ pour cette affaire, mais en demande reconventionnelle, Thirsty Beverages réclamait à son tour un peu plus de 301 852 $ à Black Fly, notamment parce qu’elle aurait dû investir pour assurer la production et la promotion de ces boissons au Québec. Cette affaire a été réglée hors cour en juin dernier.

Triani contre Simple Malt

Il y a aussi poursuites croisées dans un litige avec un autre ancien partenaire, la microbrasserie Simple Malt Brasseurs, de Saint-Eustache.

Cette fois, Triani a d’abord réclamé une somme de 416 651 $ qui lui serait due par Simple Malt Brasseurs, qui a produit en 2018 des bières pour la marque Les 2 Frères, achetée par Triani cette même année.

En entrevue, le président et directeur général de Simple Malt, René Huard, confirme avoir bien produit les bières pour Les 2 Frères, mais estime que c’est plutôt lui qui a été lésé dans cette histoire puisque Triani devait s’assurer de distribuer les boissons. M. Huard affirme que Simple Malt aurait été prise avec un stock de bière à écouler elle-même, alors que Triani aurait pris le contrôle de la facturation.

Simple Malt Brasseurs réclame plus de 440 000 $ à Triani dans sa réponse à la poursuite initiale de Triani.

« Mon entreprise, dit-il, c’est mon fonds de pension », dit René Huard.

Selon M. Huard, la situation est d’autant plus triste qu’elle touche des gens qui ont énormément investi en temps et en argent pour monter et faire prospérer leurs entreprises.

Les deux parties devraient se croiser au tribunal, le mois prochain, puisque dans ce cas, il n’y a pas d’entente à l’amiable en vue.

Le Groupe Triani en bref

  • Vin Triani a été fondé en 2014.
  • Vin Triani embouteillait au départ du vin italien, vendu dans les dépanneurs et les épiceries. Le groupe a toujours ses locaux d’embouteillage à Saint-Jean-sur-Richelieu et poursuit ses activités, notamment avec la gamme Evazione.
  • Il possède des permis de brasseur, de distillateur, de fabricant de vin et de cidre de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec, ainsi qu’un permis d’entrepôt de bière pour plusieurs emplacements.
  • En 2018, le groupe rachète Solar, qui fait faillite. Solar (aussi appelé Blue Spike) comptait les marques Baron, Octane et Mojo ainsi que le produit malté Four Loko, retiré des tablettes en 2017, car il contenait plus d’alcool que le taux affiché.
  • Il met aussi la main sur la brasserie Les 2 Frères, qui fabrique les produits Hickson et Charles-Henri.
  • En 2022, Triani fait l’acquisition du groupe Glutenberg, dans lequel la Caisse de dépôt et placement du Québec a investi 2,5 millions en 2017. Le groupe comprend les brasseries Oshlag et Vox Populi, ainsi que le distributeur Transbroue.