Le quart des distilleries artisanales du Québec prévoient fermer boutique au cours des prochains mois parce qu’elles sont incapables de rentabiliser leurs activités.

C’est un appel à l’aide que lance l’industrie au ministre des Finances, dans un mémoire déposé par l’Union québécoise des microdistilleries (UQMD) dans le cadre des consultations prébudgétaires. « Malgré des volumes de ventes record, l’industrie est au bord du gouffre », résume le document.

La jeune industrie semble avoir le vent dans les voiles, mais elle est au contraire très mal en point, explique Vincent Lambert, porte-parole de leur regroupement, dans un entretien à La Presse. Selon l’UQMD, qui compte une cinquantaine de membres, les deux tiers des microdistilleries québécoises sont déficitaires et leur situation financière continue de se détériorer avec l’augmentation du prix des intrants.

Les problèmes ne sont toutefois pas arrivés avec l’inflation.

Ça fait trois ou quatre ans que c’est difficile.

Vincent Lambert, porte-parole de l’UQMD

L’augmentation rapide de la concurrence dans un marché restreint fait partie du problème. « Il y a cinq ans, il y avait 12 microdistillateurs au Québec et il y en a 70 aujourd’hui », précise-t-il.

Leur production est variée, mais il y a surtout du gin, beaucoup de gin. « Du gin, tout le monde en fait, convient Vincent Lambert. Il nous faut des produits distinctifs. »

Un marché saturé

Du gin, la Distillerie du Fjord en fait elle aussi. C’est même son produit phare, sa vache à lait, selon Jean-Philippe Bouchard, copropriétaire de l’entreprise familiale de Saint-David-de-Falardeau. Il est toutefois conscient que l’engouement pour le gin québécois s’essouffle. « Le gros de la vague est passé », estime-t-il.

Son entreprise n’a pas l’intention de délaisser le gin, mais elle développe d’autres produits, comme un brandy de bleuet, pour assurer son avenir.

Il faut atteindre un certain volume pour être rentable. On a atteint un bon volume, on se démarque bien, mais on reste une goutte d’eau dans le marché.

Jean-Philippe Bouchard, copropriétaire de la Distillerie du Fjord

Trouver un peu d’air

« Très peu de microdistilleries peuvent en réalité vivre du fruit de leur travail, voire rentrer dans leurs frais », estime l’Union québécoise des microdistillateurs, qui demande au ministre des Finances de réduire la majoration de la Société des alcools du Québec (SAQ) sur les bouteilles vendues sur le lieu de production.

La SAQ prélève un pourcentage du prix de chaque bouteille vendue au Québec pour ses frais de vente, de mise en marché, de distribution et d’administration.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

L’Union québécoise des microdistillateurs demande au ministre des Finances de réduire la majoration de la Société des alcools du Québec sur les bouteilles vendues sur le lieu de production.

Cette majoration sur les produits vendus sur place par les distillateurs est la plus élevée au Canada, précise le directeur général du regroupement. Seulement 20 % des ventes des membres de l’Union sont faites sur les lieux de production, et la réduction de la majoration ne signifierait pas la fin des problèmes de l’industrie, reconnaît Vincent Lambert. « Mais ça va permettre de respirer un peu », affirme-t-il.

Pour la Distillerie du Fjord, la réduction de la majoration de la SAQ sur les ventes faites sur place n’est pas cruciale. Environ 80 % des ventes de l’entreprise se font à la SAQ. Jean-Philippe Bouchard croit quand même que cette majoration devrait être réduite, parce qu’il n’est pas normal que les ventes sur place, avec les coûts associés à la main-d’œuvre et aux frais de transaction, soient moins rentables pour les producteurs que les ventes à la SAQ.

Samuel Gaudette, président et cofondateur de la Distillerie Comont, à Bedford, estime lui aussi que les ventes sur place sont hyper importantes pour les microdistillateurs, qui en font peu parce que ce n’est pas rentable.

Dans le monde des distillateurs, les produits fabriqués de A à Z au Québec sont traités de la même façon que les alcools dits « embouteillés » ou « préparés » au Québec, moins chers à produire et à plus fort volume, ce qui fait aussi partie du problème des artisans.

« Les premières microdistilleries à fermer dans les prochains mois seront celles qui présentent une forte valeur ajoutée à l’économie québécoise, soient celles qui cultivent leurs matières premières, les valorisent et les transforment « du grain à la bouteille », puisque ce modèle d’affaires ne permet pas de marges bénéficiaires aussi élevées que la moyenne », souligne l’industrie, qui réclame aussi une meilleure différenciation des types d’entreprises.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Au cours des dernières années, la SAQ a réduit l’espace consacré aux produits des microdistilleries.

Au cours des dernières années, la SAQ a réduit l’espace consacré aux produits des microdistilleries, ce qui affecte la rentabilité des entreprises dont la taille est suffisante pour y avoir accès.

Est-ce que le marché québécois peut faire vivre toutes les entreprises qui se sont lancées dans ce nouveau marché ?

La question se pose, selon Jean-Philippe Bouchard. « On est des passionnés, mais ce qui compte, c’est de trouver un équilibre entre le plaisir de faire ce qu’on fait et être viable », dit-il.

Vivre sa passion ou vivre de sa passion, c’est aussi une question que se pose Samuel Gaudette pour la suite des choses. Quand il s’est lancé en affaires avec la Distillerie Comont, il savait que ce ne serait pas facile. « Mais j’espérais que ça change », dit-il.

En savoir plus
  • +39 %
    Augmentation des ventes de spiritueux au Québec entre 2010 et 2021
    Source : Union québécoise des microdistilleries