Le téléphone intelligent de Stephan Senghor sonne : « Du basilic, 500 grammes ? Sans problème ! »

Plus tard, dans la journée, il ira cueillir la commande à même le jardin qu’il a aménagé et qu’il entretient, supervise, cajole depuis le début de l’été sur le toit de l’Esplanade tranquille du Quartier des spectacles, à Montréal. Elle est destinée à un restaurateur du coin.

Le terrain de jeu est immense pour un seul travailleur : 7000 pieds carrés de persil, basilic pourpre, origan, thym, estragon, lavande, camomille, laitue, betterave, radis, maternés comme on s’occupe d’un bonzaï. Il y a de la menthe à la fraise également. « On la cultive pour quelques chefs qui l’utilisent pour leurs cocktails », explique Stephan Senghor.

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Jardin aménagé sur le toit de l’Esplanade tranquille

L’entrepreneur social et conseiller fondateur des firmes Biome/GS Écologie urbaine regarde ses plants pousser, les analyse, pense à leur transformation. Il maîtrise ses cultures, mais admet qu’il y a beaucoup d’essais-erreurs. « Il y a des semaines où il a plu beaucoup, ensuite il a fait super chaud, froid, raconte-t-il. On le voit sur le comportement des végétaux. Il y a beaucoup de tests. »

C’est la beauté du jardin, sa géométrie, avant la diversité des plants, qui saute aux yeux. « C’est voulu, dit Stephan Senghor. Une ferme urbaine doit faire beaucoup plus que de produire de la nourriture. Il faut que ce soit joli pour la personne dans l’édifice devant. »

Appel à projets

L’agriculteur urbain, né à Sherbrooke d’une mère haïtienne et d’un père sénégalais, a hérité de ce toit après un appel à projets en collaboration avec le Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB), et son programme MontréalCulteurs, qui vise à mailler des producteurs et des espaces. « On s’assure que le site soit clés en main », dit la conseillère d’AU/LAB Noémie Roy.

En effet, l’infrastructure sur le toit était en place à l’arrivée du cultivateur urbain : murets, tuyaux… « Mais on a installé un système d’irrigation », note Stephan Senghor.

  • Stephan Senghor dans son jardin urbain

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    Stephan Senghor dans son jardin urbain

  • Tomates

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    Tomates

  • Un souci de diversité pour faire des tests, mais aussi pour que ce soit joli

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    Un souci de diversité pour faire des tests, mais aussi pour que ce soit joli

  • Piments sur le toit

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    Piments sur le toit

  • Stephan Senghor et sa partenaire de travail à l’œuvre

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    Stephan Senghor et sa partenaire de travail à l’œuvre

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Des huit espaces offerts lors de l’appel à projets, Stephan Senghor n’a pas hésité à opter pour celui-ci. « Car il reflète ma vision de l’agriculture urbaine, en pleine ville, pour faire de l’agrotourisme, avoir une composante qui dépasse la fonction alimentaire, dit-il. C’est beaucoup plus intéressant pour moi que de le faire dans un endroit isolé, caché. Ça se veut aussi un îlot de fraîcheur.

J’ai postulé précisément pour cet espace que j’ai obtenu en mars. Je suis résidant de Ville-Marie depuis 20 ans. C’est quelque chose que je rêvais de matérialiser.

Stephan Senghor

On ne s’embarque pas dans une telle aventure à la légère. Bien souvent, Stephan Senghor est sur son toit à 5 h du matin, jusqu’à 8 h, et il y retourne en soirée, quand le soleil ne tape plus. C’est lui qui a monté les 150 sacs de compost nécessaires à la réalisation de son projet. « Je le vois comme un entraînement, sans abonnement au gym ! lance-t-il. On se motive comme on peut ! »

Le jardin sur le toit du Palais des congrès étant fermé, celui de Senghor est le plus grand de l’arrondissement de Ville-Marie. Étourdissant ? Pas pour celui qui affirme avoir monté des projets d’agriculture urbaine au Sénégal. « Mon intention est de le dupliquer. Quoi de mieux que de pratiquer pour découvrir la charge réelle du travail ? Cela dit, je peux compter sur AU/LAB. Dans ma petite équipe, j’ai un cuisinier qui teste les produits pour les transformer. Je travaille avec le Labo culinaire de la SAT. Ça crée une valeur ajoutée. Mettre à la poubelle est la dernière option. On est dans le principe de l’économie circulaire. »

Et comment arriver à la rentabilité quand on ne livre pas des paniers aux particuliers ? D’ici la fin de septembre, Stephan Senghor pense avoir un maximum de 15 clients-restaurateurs. « Je suis dans une année de tests, répond-il. Ça entre dans mon idée de “farming as a service”. Je veux qu’ils vendent de la fraîcheur. Ça ne marcherait pas avec un banquier. Je le sais pour avoir déjà été un directeur de comptes à la TD. On a des problèmes qui viennent avec la rentabilité. Là, on évite de produire du carbone. »

« Je le vois comme une initiative privée, ajoute-t-il. J’exploite l’espace. Je récolte et vends. J’ai payé le compost, les semences, les outils. Sans subventions. Je laboure à la main. »

Après, si ça marche, il ira chercher des subventions, admet celui qui rêve d’un réseau de microfermes sur la tête des gens. « L’agriculture urbaine augmente la résilience des communautés, explique-t-il. À Dakar, au Sénégal, par exemple, il y a des milliers de toits plats qui ne servent à rien. Ils pourraient attirer des projets comme celui-ci pour faire face aux changements climatiques et à la souveraineté alimentaire. Plus de 50 % de la population mondiale réside dans les villes, qui sont les moteurs du changement. Il faut les outiller. »