(Paris) Après des années de retard et d’empoignades entre partenaires, l’Eurodrone finit par décoller : l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne ont signé jeudi le contrat pour développer et produire ce futur drone, destiné à s’affranchir notamment de la dépendance au Reaper américain.

Arrivant à maturité au moment où, coïncidence, les tensions géopolitiques sont à leur comble en Europe après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le contrat a été notifié via l’organisme européen de coopération en matière d’armement (Occar) à Airbus, chef de file industriel du projet auquel participent également l’italien Leonardo et le français Dassault Aviation.

D’un montant de 7,1 milliards d’euros (10,2 milliards de dollars canadiens), il prévoit le développement de l’appareil, la livraison d’un total de 60 drones, soit 20 systèmes, et leur entretien pendant cinq ans.

Premières livraisons en 2028

L’Allemagne, chef de file du programme, a commandé sept systèmes, l’Italie cinq, la France et l’Espagne quatre chacune. Un système est composé de trois drones et de deux stations de contrôle au sol.

Le premier vol est prévu en 2026 et les premières livraisons deux ans plus tard, a indiqué Jean-Brice Dumont, patron des avions militaires chez Airbus.

Bimoteur de 30 mètres d’envergure, proche de celle d’un petit avion de ligne, et d’une masse au décollage de 10 tonnes, l’Eurodrone fournira une capacité de surveillance, voire de frappe aérienne, pendant une vingtaine d’heures.

Il devra aussi pouvoir s’insérer dans le trafic aérien civil, une gageure pour des appareils automatisés et pilotés à distance.

« Ce programme donnera naissance au système de drone le plus avancé de sa catégorie, générera plus de 7000 emplois hautement qualifiés et renforcera la souveraineté de l’industrie européenne, son savoir-faire et la coopération entre les États », selon le président d’Airbus Defense and Space, Mike Schoellhorn, cité dans un communiqué.

Lancé en 2015 après l’échec de plusieurs précédents programmes européens visant à faire émerger une filière de drones MALE (« Medium Altitude, Long Endurance »), l’Eurodrone doit permettre aux Européens de rattraper leur retard dans le domaine des engins volants pilotés à distance et de s’affranchir de la dépendance vis-à-vis des Reaper américains ou Heron israéliens, dont sont équipés les quatre pays.

« Pas le drone d’avant-hier »

Les Américains faisaient déjà voler leurs drones Predator dans le ciel afghan au début des années 2000 et préparent le successeur du Reaper, qui aura vocation à être plus endurant et plus furtif.

La Turquie a de son côté fait de l’exportation de ses drones TB2, utilisés notamment lors du conflit au Haut-Karabakh à l’automne 2020, un levier de son influence internationale.

Le programme bénéficie d’un financement de l’Union européenne de 100 millions d’euros via le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (EDIDP).

Le contrat signé jeudi était initialement attendu fin 2019. Mais les négociations entre les États et les industriels, sur les prix notamment, ont été rugueuses.

L’Allemagne a obtenu qu’il soit bimoteur quand la France n’en souhaitait qu’un pour que l’appareil soit plus léger et moins coûteux.

Paris voulait en revanche que l’appareil puisse être armé : 58 % des frappes aériennes réalisées en 2020 par l’armée française ont été effectuées par des drones.

En France, des parlementaires se sont inquiétés des retards du programme.

« Même si les performances de l’Eurodrone devraient être nettement supérieures à celles du Reaper […], on peut craindre qu’au moment de sa livraison, elles soient, du fait des retards accumulés et du rythme rapide de l’innovation, en décalage avec les dernières technologies », affirmaient des sénateurs dans un rapport en juin.

« On n’a pas l’intention d’arriver avec le drone d’avant-hier quand il rentrera en service », assure de son côté M. Dumont, selon qui l’Eurodrone va « permettre de développer un savoir-faire précieux et d’envisager d’autres drones pour faire un pont vers le SCAF », le Système de combat aérien futur développé par Berlin, Paris et Madrid à l’horizon 2040.

Le programme maintenant lancé, Airbus doit encore décider de sa motorisation et choisir entre l’italien Avio Aero, filiale de l’américain General Electric, et le français Safran.

Mais selon M. Dumont, « on parle de souveraineté européenne, il est donc évident que la non-dépendance à Itar fait partie de la spécification du produit ». La législation américaine Itar impose l’autorisation de Washington pour exporter ces composants de fabrication américaine.