L’heure des rappels a sonné chez Bombardier, qui construira davantage de ses jets d’affaires puisque la demande ne tarit pas. Le portrait pourrait toutefois s’assombrir si Ottawa va de l’avant avec sa nouvelle taxe sur certains produits de « luxe » – comme les avions privés –, estime l’avionneur québécois.

« Il y a quatre ou cinq transactions qui auraient pu être conclues au quatrième trimestre ou en début d’année, mais qui sont sur la glace », a expliqué jeudi le président et chef de la direction de la multinationale, Éric Martel, au cours d’une conférence téléphonique.

En marge de la diffusion des résultats du quatrième trimestre, où Bombardier a dépassé les attentes en plus de générer des profits, ce dernier n’a pas dit s’il était d’accord ou non avec cette nouvelle taxe. À l’instar d’associations, d’entreprises et de syndicats, M. Martel a préféré s’attarder aux éventuelles répercussions néfastes pour la société qu’il dirige.

Dans son budget de 2021, Ottawa avait proposé une « taxe sur certains biens de luxe » pour les voitures et aéronefs qui se vendent plus de 100 000 $ et les yachts qui coûtent plus de 250 000 $. Le taux varierait entre 10 et 20 %.

Selon les estimations gouvernementales, la mesure doit permettre de récolter 604 millions sur cinq ans. Elle n’est pas encore en vigueur, mais Ottawa prévoit récolter 35 millions cette année. M. Martel a dit comprendre l’objectif du gouvernement Trudeau – cibler les nantis –, ce qui ne l’a pas empêché de l’inviter à réfléchir.

« Environ 5 % de nos avions sont vendus au Canada, a souligné le patron de Bombardier. Je suis sûr que le gouvernement fera ce qu’il faut, mais il doit évaluer les avantages et inconvénients. Il n’y a pas que des avantages et je pense que l’emploi pourrait être l’un [des désavantages]. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Éric Martel, président et chef de la direction de Bombardier

Une taxe de 10 % sur un Challenger 3500, dont le prix catalogue est de 26,7 millions US, serait d’au moins 2,7 millions US. Elle atteindrait 7,5 millions US pour le fer de lance de Bombardier, le Global 7500, vendu 75 millions US.

Au cours des dernières semaines, le gouvernement Trudeau a été interpellé par des constructeurs de bateaux, des syndicats et diverses associations. Unifor estime qu’Ottawa devrait trouver d’autres manières d’obliger les nantis à apporter leur contribution.

Dans un mémoire diffusé à l’automne, l’Association canadienne de l’aviation d’affaires a affirmé que son secteur génère des retombées annuelles de 900 millions, ce qui est largement supérieur à la somme que le gouvernement Trudeau souhaite récolter avec sa taxe. Elle a invité Ottawa à changer son fusil d’épaule.

« La mise en œuvre de cette mesure est une priorité et un projet de loi, comprenant des détails sur l’entrée en vigueur, sera bientôt déposé », a souligné Adrienne Vaupshas, porte-parole de la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, dans un courriel.

Rappels et embauches

Avec un carnet de commandes de 12,2 milliards US, en hausse de 14 % sur un an, Bombardier remettra un peu plus de 120 appareils à des clients, soit un peu plus qu’en 2021. Ce sont essentiellement les livraisons de la famille Challenger qui augmenteront. Cependant, en 2023, la production devrait croître de 15 à 20 %. L’avionneur aura besoin d’un plus grand nombre de travailleurs.

« Il y a à peu près 1000 personnes à recruter dans nos centres et usines [dans le monde], a dit M. Martel. Au Québec, c’est environ 300 personnes qu’on doit recruter. On rappelle des personnes pour augmenter la cadence sur certains produits. »

Il y a moins de 1000 personnes sur la liste de rappel de Bombardier au Québec.

Sans surprise, les annonces de la société ont été bien accueillies par l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA).

« Est-ce que c’est une bonne nouvelle ? Certainement, a affirmé son représentant Éric Rancourt. Plus vite les avions sortent de l’usine, plus ils ont besoin de monde. Il y a encore une liste de rappel, alors c’est une bonne nouvelle. »

Depuis le début de la pandémie, les ultrariches et les nantis se sont tournés vers le transport privé pour se déplacer. Résultat : l’an dernier, une hausse de 7 % des vols réalisés par les jets d’affaires a été enregistrée par rapport à 2019, selon les données de la firme d’analyse WingX.

Certains concurrents de Bombardier, comme Gulfstream et Textron, ont déjà annoncé des accélérations de production. L’analyste Benoit Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins, estime que Bombardier devrait livrer entre 138 et 144 jets privés en 2023.

La demande est toujours forte en Amérique du Nord, a souligné M. Martel, en ajoutant que le contexte s’améliore dans des marchés comme l’Europe et la Russie.

« L’augmentation de l’activité et le faible niveau des stocks dans le marché d’occasion [environ seulement 4 % de la flotte mondiale de jets d’affaires] stimulent les nouvelles commandes », a souligné l’analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale.

À la Bourse de Toronto, jeudi, l’action de Bombardier a retraité de 4 cents, ou 2,2 %, pour clôturer à 1,76 $.

En savoir plus
  • 24
    Bombardier tiendra une journée des investisseurs le 24 février. L’entreprise devrait donner plus de détails sur sa stratégie pour réduire sa lourde dette à long terme de 7 milliards US.
    SOURCE : bombardier
    6,1
    Bombardier a généré des revenus de 6,1 milliards US en 2021. Ils devraient être supérieurs à 6,5 milliards US cette année.
    SOURCE : bombardier