(Ottawa) Un autre retard dans le plan de près de 100 milliards d’Ottawa pour rebâtir les flottes de la Marine et de la Garde côtière soulève des questions, mais cette fois, les délais ne sont pas dus à des problèmes de construction.

Le gouvernement fédéral avait annoncé en décembre 2019 que le chantier maritime québécois Davie, de Lévis, avait été le seul à se qualifier pour obtenir une part de ce lucratif approvisionnement : la construction de six brise-glaces pour la Garde côtière canadienne, qui en a désespérément besoin.

Cette annonce avait lancé les négociations en vue d’un accord que Davie et ses partisans à Québec et Ottawa réclamaient depuis des lustres. Mais deux ans plus tard, les discussions n’ont toujours pas abouti.

Ce retard alimente les craintes concernant la flotte vieillissante de la Garde côtière, qui a perdu un autre navire cette semaine, avec le retrait forcé d’un navire scientifique vieux de 59 ans — le Canada n’a donc plus de navire dédié à la recherche océanique.

« Après avoir pris un engagement aussi médiatisé, on se demande vraiment ce qui peut bien prendre autant de temps », estime David Perry, président de l’Institut canadien des affaires mondiales et un expert en approvisionnement au Canada.

Le chantier Davie avait d’abord été exclu du plan de construction navale, à la suite d’un appel d’offres en 2011. Ottawa avait finalement sélectionné les chantiers Irving, à Halifax, pour les nouveaux navires de guerre de la Marine, et Seaspan, à Vancouver, pour deux nouveaux navires de soutien de la Marine et les premiers navires de la nouvelle flotte de la Garde côtière.

Le chantier naval de Lévis avait pu décrocher quelques contrats à la pièce, dont la construction de deux traversiers fédéraux et la conversion de plusieurs navires d’occasion pour la Marine et la Garde côtière — un navire de ravitaillement pour la Marine, l’Astérix, et trois brise-glaces usagés.

Davie veut en faire plus

Pourtant, la Davie ne cachait pas son désir d’en faire plus : avec l’aide d’alliés à Québec et de députés de l’opposition à Ottawa, le chantier de Lévis a fait pression sur le gouvernement libéral fédéral pour qu’il soit officiellement inclus dans les plans de construction navale.

Au même moment, Seaspan avait du mal à respecter ses échéanciers de livraison en raison de problèmes de gestion, à Vancouver et à Ottawa. Et pendant tout ce temps, la flotte des garde-côtes devenait de plus en plus vieillissante et décrépite.

L’impact de ces retards s’est encore cristallisé, cette semaine, lorsque la Garde côtière a annoncé qu’elle retirait le navire de recherche océanique NGCC Hudson, en même temps qu’elle révélait que Seaspan ne livrerait pas son remplaçant avant au moins 2025.

C’est dans ce contexte que le gouvernement libéral a annoncé, en août 2019, qu’il ajoutait un troisième chantier à la Stratégie de construction navale pour construire la prochaine flotte de brise-glaces, et il a officiellement appelé tous les chantiers navals à manifester leur intérêt.

Le chantier naval ontarien Heddle Marine n’a pas tardé à accuser le gouvernement d’avoir pipé les dés en faveur de Davie. Mais le Tribunal canadien du commerce extérieur a été empêché d’enquêter sur la plainte de Heddle, après qu’Ottawa a invoqué une exemption spéciale. Et en décembre 2019, le gouvernement a annoncé que Davie était le seul chantier naval à répondre à ses exigences.

Des discussions « toujours en cours »

Les responsables à l’époque s’attendaient à un accord final sur les détails d’ici la fin de 2020 : rien de cela ne s’est produit. La dernière mise à jour officielle, en juillet dernier, indiquait que le gouvernement avait révisé ce calendrier jusqu’à la fin de 2021 — une cible elle aussi ratée.

Les deux parties soutiennent que les discussions sont en cours, mais fournissent peu d’autres détails.

« Il s’agit d’un processus de qualification complexe, en plusieurs étapes, et il est impératif que le Canada réussisse, a déclaré le porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada, Marc-André Charbonneau. Notre équipe d’évaluation continue d’évaluer la proposition soumise par Chantier Davie. »

Il a ajouté que si Davie « n’était pas en mesure de mener à bien le processus pour devenir le troisième chantier naval dans le cadre de la (Stratégie nationale de construction navale), le Canada devrait en évaluer l’impact sur tous les programmes destinés au troisième chantier ».

Un porte-parole de Davie a déclaré que le chantier de Lévis restait déterminé à construire les nouveaux brise-glaces, dont la livraison devient plus urgente chaque jour qui passe, alors que la flotte de la Garde côtière vieillit et devient de plus en plus difficile à entretenir.

Manque de transparence ?

Pendant ce temps, Davie n’a pas encore livré le dernier des trois brise-glaces d’occasion commandés pour la Garde côtière en 2018, qui avaient été facturés 610 millions, mais dont le prix approche maintenant la barre du milliard de dollars.

L’absence d’un accord formel n’a pas empêché les libéraux d’annoncer en mai dernier leur intention de demander à Davie et à Seaspan de construire chacun un brise-glaces polaire, une annonce que certains considéraient alors comme partisane, juste avant les élections fédérales de l’automne.

Timothy Choi, expert en construction navale de l’Université de Calgary, admet que la pandémie a sans aucun doute ralenti le projet d’ajouter Davie au club de la Stratégie nationale, mais il soutient que le manque de transparence entourant les pourparlers est à la fois frustrant et préoccupant.

« On ignore complètement l’avancée exacte de leurs négociations, et en fait tout ce qui doit être négocié ou vérifié pour que Davie devienne le troisième chantier officiel. »