L’offre généreusement bonifiée que vient de lancer le CN par rapport à celle formulée il y a un mois par le CP pour faire l’acquisition du transporteur ferroviaire américain Kansas City Southern n’a rien de surprenant. Ce qui est étonnant, toutefois, c’est le temps de réaction qu’ont mis les deux sociétés de chemin de fer canadiennes avant de passer à l’action pour tenter de mettre la main sur cet actif hautement stratégique.

Si c’est le Canadien Pacifique qui a lancé le bal le 23 mars dernier en concluant une entente de principe avec le conseil d’administration de Kansas City Southern (KCS), avec une offre qui évaluait le transporteur américain à 29 milliards US, le CN a bien repris les choses en main en déposant cette semaine une contre-offre qui valorise KCS à 33,7 milliards US.

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L’offre du Canadien Pacifique, déposée le 23 mars dernier, évaluait le Kansas City Southern à 29 milliards US, alors que la contre-offre du CN valorise l’entreprise à 33,7 milliards US.

Cette surenchère agira comme un puissant stimulant pour alimenter la réflexion des actionnaires de l’entreprise convoitée, qui sont visiblement désireux de monter à bord d’un train canadien et de monnayer à fort prix leur investissement.

Ce qui m’étonne dans cette séquence d’évènements, c’est que le CN a attendu que le Canadien Pacifique fasse une première offre avant de revenir à la charge avec une contre-proposition très alléchante et qui sera très coûteuse à surpasser pour le CP.

Cela fait maintenant 27 ans que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a été ratifié, et à l’époque, en 1994, nos deux sociétés de chemin de fer canadiennes s’étaient déjà engagées à continentaliser leurs activités afin de profiter d’un flux d’échanges de marchandises en forte augmentation.

Au début des années 2000, le CN a ainsi réalisé deux acquisitions importantes aux États-Unis pour mieux se positionner dans ce nouvel espace économique intégré en absorbant d’abord le transporteur Illinois Central, en 1999, et le Wisconsin Central, en 2001.

En 1999, le CN et le Burlington Northern Santa Fe – aujourd’hui le plus important transporteur ferroviaire d’Amérique du Nord – avaient même officiellement annoncé leur fusion. Un projet qui a été mis sur la glace par le Surface Transportation Board, l’organisme réglementaire américain, qui jugeait inopportune cette association.

« Il faut se rappeler que Burlington North venait de fusionner en 1996 avec Santa Fe et que Union Pacific venait de faire la même chose avec Southern Pacific. Le Surface Transportation Board nous a imposé un moratoire de 18 mois et on a décidé de mettre un terme à notre projet », me rappelle Paul Tellier, qui était PDG du CN à l’époque.

« Mais c’est sûr que dès la privatisation du CN, en 1995, notre objectif était d’orchestrer notre expansion vers le sud plutôt que d’est en ouest », poursuit l’ex-PDG.

Une continentalisation économique et écologique

Le regain d’intérêt soudain que viennent de manifester le CN et le CP à l’endroit du Kansas City Southern est directement lié à une nouvelle intensification prévisible des échanges commerciaux continentaux.

Comme l’a expliqué Jean-Jacques Ruest, PDG du CN, dans l’offre qu’il a présentée mardi aux actionnaires de KCS, les coûts de fabrication en Chine n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières années et ont rendu le Mexique beaucoup plus concurrentiel comme lieu de fabrication à faible coût.

La crise générée par la pandémie a aussi mis en lumière l’urgence de développer des chaînes d’approvisionnement qui favorisent une plus grande proximité. Le chemin de fer est un moyen beaucoup plus écologique d’acheminer biens et marchandises vers leurs lieux de consommation plutôt que de traverser mers et océans.

Déjà au début des années 2000, le CN avait d’ailleurs envisagé d’acheter le transporteur KCS afin d’avoir un accès direct au Mexique plutôt que d’être stoppé en Louisiane, me précise Paul Tellier.

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Paul Tellier, ancien PDG du CN

« J’avais développé une bonne amitié avec Mike Haverty, le PDG de Kansas City Southern, et on en avait discuté ensemble, mais mon chef des opérations Hunter Harrison n’avait aucune affinité avec lui et m’a découragé d’aller plus loin. Il voulait que l’on consolide d’abord nos activités avec Illinois Central et Wisconsin Central », relate Paul Tellier.

Il aura donc fallu plus de 20 ans avant que les projets de boucler un lien ferroviaire sur l’ensemble du territoire de l’ALENA, devenu l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) depuis le 1er juillet dernier, ressurgissent.

Difficile d’expliquer pourquoi aucune tentative de consolidation du réseau continental n’a émergé depuis 2001 et que c’est seulement cette année que l’on décide d’aller de l’avant, à un coût beaucoup plus élevé que ce qu’une pareille initiative aurait exigé il y a 10 ou 15 ans.

Il faut croire que la pandémie a été un évènement catalyseur d’une volonté qui faisait défaut jusqu’ici et qu’encore et toujours, nécessité fait loi.