Moment charnière dans l’histoire du géant des dépanneurs, Alimentation Couche-Tard, qui ravive aussi les spéculations envers de possibles tentatives de prise de contrôle de ce fleuron de Québec inc.

C’est ce mercredi que prend fin la structure de propriété à deux catégories d’actions (univotantes et multivotantes) chez cette entreprise qui vaut 52 milliards de dollars en Bourse.

C’est aussi la fin du contrôle majoritaire des droits de vote parmi ses quatre cofondateurs et coactionnaires minoritaires dans le capital-actions de l’entreprise, en incluant Alain Bouchard, 72 ans, qui chapeaute encore la direction de Couche-Tard à titre de président exécutif du conseil d’administration.

« Même s’il était prévu de longue date, et bien connu des investisseurs chez Couche-Tard, il s’agit tout de même d’un changement significatif au capital-actions qui pourrait inciter des actionnaires et des investisseurs externes à la haute direction à se manifester de façon plus “activiste” en cas de désaccord ou d’insatisfaction sur la direction de l’entreprise », signale François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), lors d’une discussion avec La Presse.

Ces changements découlent de l’entente d’actionnariat parmi ses cofondateurs qui prévoyait l’unification de leurs actions multivotantes de catégorie A avec les actions univotantes de catégorie B à partir du moment où ils auraient tous atteint leur 65anniversaire.

Or, c’est ce mercredi 8 décembre que le cadet des quatre cofondateurs, Jacques D’Amours, franchit le seuil de 65 ans.

Cet anniversaire déclenche donc la « clause crépusculaire » de conversion et d’unification des actions qui avait été mise en place il y a presque 25 ans, alors que les cofondateurs étaient dans la quarantaine.

Contrôle des droits de vote

Grâce à leurs actions multivotantes, les cofondateurs ont pu maintenir leur emprise sur une majorité des droits de vote – environ 68 % – alors qu’ils possédaient un peu moins du quart (environ 23 %) de l’ensemble du capital-actions de Couche-Tard, toutes catégories confondues.

Mais avec la conversion et l’unification de tout le capital-actions en une seule catégorie d’actions, le contrôle majoritaire des droits de vote des cofondateurs est réduit de près des deux tiers, à l’équivalent de leur bloc de 23 % du capital-actions.

En conséquence de ces changements, il n’y a plus de bloc de contrôle majoritaire des droits de vote dans l’actionnariat total de Couche-Tard.

Toutefois, les cofondateurs pourraient être en mesure de constituer un « groupe de blocage » à 33 % ou plus des droits de vote en s’alliant à d’autres actionnaires importants, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec (5,3 % des actions).

De l’avis d’analystes, un tel « groupe de blocage » pourrait contrer des projets perturbateurs pour l’avenir de l’entreprise, comme une offre d’achat non sollicitée.

Offre d’achat ?

Mais encore faudrait-il qu’un tel – et très coûteux – projet de prise de contrôle puisse se constituer, ce dont doutent des analystes comme Nicholas Kim, chez BMO Capital Markets à Toronto.

« Bien que les solides flux de trésorerie disponibles et le faible niveau d’endettement de Couche-Tard puissent en faire une cible attrayante de prise de contrôle ou de rachat par endettement, je considère un tel scénario très peu probable », indique Nicolas Kim dans une note obtenue par La Presse.

« En premier lieu, la grande taille de Couche-Tard limite considérablement le nombre d’acquéreurs potentiels, alors que le coût total d’une telle transaction pourrait approcher les 60 milliards de dollars.

« En second lieu, les cofondateurs, qui détiennent toujours une participation avec 23 % des droits de vote, devraient pouvoir facilement obtenir le soutien d’actionnaires et d’investisseurs amicaux pour se constituer une position de blocage (à 33 % ou plus).

« En troisième lieu, conclut l’analyste Nicolas Kim, étant donné que Couche-Tard a son siège social au Québec, avec une réussite d’envergure mondiale, un acquéreur potentiel se buterait sans doute à une intervention du gouvernement du Québec en alliance avec la Caisse de dépôt et d’autres investisseurs institutionnels basés au Québec. »

La place des cofondateurs

Et qu’en est-il de la place des cofondateurs chez Couche-Tard ?

« Nous planifions cela depuis un certain temps. Tous les [quatre] fondateurs, y compris moi-même, demeureront membres du conseil d’administration de Couche-Tard et étroitement impliqués dans l’organisation », indique Alain Bouchard dans un communiqué.

« Mon engagement et mon leadership au sein de l’entreprise ne changeront pas. Je suis plus que jamais convaincu que notre taille, notre culture et notre stratégie gagnantes, et les structures que nous avons mises en place, tant au niveau de la direction générale que du point de vue de la gouvernance, serviront bien l’entreprise. Nous agirons dans le meilleur intérêt de nos actionnaires. »

Alimentation Couche-Tard en chiffres

Activités : réseau de 14 200 magasins d’accommodation (dépanneurs) et de 10 800 essenceries dans 26 pays et territoires d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie

Chiffre d’affaires (annualisé au 10 oct.) : 53 milliards US

Bénéfice d’exploitation (annualisé au 10 oct.) : 3,5 milliards US

Bénéfice net (annualisé au 10 oct.) : 2,6 milliards US

Capitalisation boursière (au 7 déc.) : 52,8 milliards CAN (Bourse de Toronto)

Prix de l’action (ATD.B, au 7 déc.) : 49 $ CAN (Bourse de Toronto)

Multiple cours/bénéfice par action : 15 fois

Principaux actionnaires (cl. A et cl. B) : Dév. Orano (Alain Bouchard, cofondateur et président exécutif du conseil, et sa famille, 11,5 %), Jacques D’Amours (cofondateur, membre du conseil, 5,6 %), Caisse de dépôt et placement du Québec (5,3 %), Richard Fortin (cofondateur, membre du conseil, 3,0 %), Gestion mondiale d’actifs RBC (Toronto, 3,2 %), Réal Plourde (cofondateur, membre du conseil, 2,0 %), etc.

Sources : Refinitiv, Couche-Tard, Bourse de Toronto