(Montréal) Le départ du chef de la direction de Rogers Communications, Joe Natale, soulève des questions sur l’orientation de l’entreprise, qui cherche à mettre un terme à une lutte de pouvoir au sein du conseil d’administration et à se concentrer sur l’acquisition de sa rivale Shaw Communications, ont estimé mercredi des experts.

Dans un communiqué publié tard mardi soir, le géant des télécommunications a annoncé que M. Natale n’était plus chef de la direction et qu’il était remplacé sur une base intérimaire par son ancien directeur financier Tony Staffieri. Le conseil d’administration a entamé des recherches pour trouver un chef de la direction permanent pour guider son acquisition de Shaw, une transaction évaluée à 26 milliards.

M. Staffieri fait partie des candidats pour le poste permanent, a précisé Rogers.

Tyler Chamberlin, professeur adjoint à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, a estimé que même si la querelle familiale au sujet de la tentative du président Edward Rogers de remplacer M. Natale par M. Staffieri semblait être réglée, l’incertitude au sommet pourrait avoir des répercussions sur l’entreprise.

La mère d’Edward, Loretta Rogers, et ses sœurs Martha Rogers et Melinda Rogers-Hixon s’étaient opposées aux changements.

« Est-ce que ces gens vont continuer à se quereller comme ça ? De toute évidence, ce ne sera pas bon pour l’entreprise, ni pour les actionnaires ni pour l’équipe de direction qui va prendre le relais. Et nous aurons besoin de la direction du conseil d’administration », a observé M. Chamberlin.

La tentative initiale d’Edward pour évincer M. Natale pour le remplacer par son numéro deux a conduit au départ de Staffieri en septembre, ainsi qu’à un vote du conseil d’administration pour expulser Edward de son siège de président du conseil.

Edward a alors rédigé une résolution des actionnaires – sans procéder par l’entremise d’une assemblée des actionnaires – pour évincer les cinq administrateurs qui l’avaient défié. La société a déposé une contestation judiciaire contre son conseil d’administration remanié, déclenchant une bataille judiciaire pour savoir qui en faisait réellement partie.

Le 5 novembre, un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que la manœuvre d’Edward était légitime.

« Ces querelles familiales forment une toile de fond intéressante à ce différend qui a plus en commun avec un drame shakespearien », a écrit la juge Shelley Fitzpatrick dans sa décision.

« Pas de grand scandale, pas de grande corruption »

Mais le départ de M. Natale pourrait également conduire à une nouvelle vision stratégique pour Rogers, qui vient de traverser, selon M. Chamberlin, une période de « sous-performance » pendant le mandat du patron sortant.

« Un chef de la direction sous-performant est remplacé par un autre cadre. Cela se produit souvent », a-t-il souligné.

« Il ne s’agit pas d’un grand scandale, il ne s’agit pas d’une grande corruption. Il s’agit simplement de différences de visions stratégiques et de qui devrait le mieux diriger cette très grande et très précieuse entreprise. »

L’analyste Drew McReynolds, de RBC Dominion Valeurs mobilières, a indiqué qu’il s’attendait à d’autres changements au niveau des cadres supérieurs, mais ne pense pas que ces changements auront une incidence sur le processus d’approbation réglementaire de l’accord avec Shaw.

Trois agences fédérales examinent l’acquisition potentielle. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) doit tenir une audience publique à ce sujet le 22 novembre.

Les entreprises avec une double catégorie d’actions, comme Rogers, peuvent générer d’importants bénéfices, mais le récent conflit au sein du conseil d’administration souligne également le risque de gouvernance associé à cette structure.

« Il y a effectivement une personne en charge de Rogers, et pas seulement à titre de propriétaire, mais capable de dicter l’orientation de la direction », a affirmé Ben Klass, membre d’une équipe de recherche qui étudie la concentration de la propriété dans les secteurs des télécommunications et des médias au Canada.

« Maintenant, Rogers est sur le point de prendre le contrôle de Shaw, lui donnant le contrôle d’un empire médiatique d’un océan à l’autre. »

Les sociétés ayant des actions à double catégorie émettent différents ensembles d’actions ordinaires qui ont des caractéristiques différentes, notamment au chapitre du contrôle et des droits de vote. Cela donne souvent à un groupe d’actionnaires une part démesurée de ces droits – généralement aux fondateurs, aux membres de la famille ou aux dirigeants de l’entreprise.

La structure est utilisée par des entreprises aussi diverses que la société mère de Google, Alphabet, et Ford Motor Company. Au Canada, cette liste comprend Shopify, Canada Goose Holdings, Bombardier, Alimentation Couche-Tard et Canadian Tire.

« Toute la querelle semble avoir porté sur le contrôle. Et quand l’une des personnes engagées dans la querelle contrôle 97 % de l’entreprise, je pense que le dénouement est assez prévisible », a noté M. Klass.