Citant l’incertitude pandémique, Transat A. T. se retire de certaines destinations, obligeant ses clients touchés à patienter jusqu’à trois mois avant de récupérer leur argent. Des défenseurs des droits des passagers se demandent si ces remboursements respectent les règles fédérales.

Madeleine Lévesque croyait avoir déniché une aubaine en réservant, le 31 août dernier, au coût unitaire d’environ 500 $, deux billets aller-retour entre Montréal et Vancouver en vue du voyage de ski qu’elle devait effectuer avec son conjoint à compter du 10 février prochain.

Ses plans ont toutefois changé le 7 octobre dernier quand elle a appris que son vol était annulé par Air Transat, qui, par courriel, attribuait sa décision à « l’incertitude entourant le maintien des restrictions de voyage ». L’attente pour le remboursement pourrait atteindre 12 semaines, prévenait le message. La Presse a consulté le courriel.

Ils retiennent mon argent depuis le 31 août. Ce n’est pas comme cela que l’on fait des affaires. Tu prends mon argent pour faire rouler l’entreprise. Les liquidités, c’est Air Transat qui en profite.

Madeleine Lévesque, dont le vol aller-retour entre Montréal et Vancouver a été annulé par Air Transat

Jusqu’au 1er mai, il n’y a plus de vols de Montréal vers Vancouver. Mme Lévesque s’est tournée vers Air Canada pour réserver deux autres billets, mais le prix unitaire avait doublé à environ 1000 $.

Moins médiatisées, ces annulations surviennent alors que Transat A. T. mousse la relance de ses activités. Au cours de la dernière semaine, l’entreprise a bonifié son offre de vols en vue de l’été ainsi qu’une liaison directe entre Québec et Londres à compter du 11 mai.

Dans un courriel, l’Office de la protection du consommateur a fait savoir que la Loi sur la protection du consommateur « ne spécifie pas de délai pour rembourser un consommateur, dans le cas où un transporteur annule son contrat ». L’organisme gouvernemental ne s’est pas prononcé sur le délai pouvant atteindre 12 semaines.

Des règles suivies ?

Le message envoyé par Air Transat ne mentionnait que l’option du remboursement. Or, des dispositions du Règlement sur la protection des passagers aériens prévoient qu’en cas d’annulation attribuable au transporteur, celui-ci doit offrir des « arrangements de voyages alternatifs pour que les passagers puissent compléter leur itinéraire prévu dès que possible ».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Siège social de Transat A. T., rue Parc, à Montréal

Ces options peuvent inclure un itinéraire différent ou un réacheminement sur les ailes d’une autre compagnie aérienne. Si ces arrangements « ne satisfont pas aux besoins du passager », le remboursement s’applique.

« Il semble raisonnable de soutenir qu’en vertu du Règlement, le transporteur doit d’abord offrir des arrangements de vol alternatifs, souligne Yahia Belhaddad, avocate chez Vol en retard. Autrement dit, il me semble que la compagnie ne puisse seulement offrir le remboursement sans passer par les arrangements alternatifs d’abord. »

Consultez le Règlement sur la protection des passagers aériens

Le président-directeur général de l’entreprise Vol en retard, Jacob Charbonneau, estime que ce dossier devrait se retrouver devant l’Office des transports du Canada (OTC) afin « d’obtenir un jugement qui ferait jurisprudence ».

Sinon, c’est trop facile et on va en voir d’autres. Le marché va prendre du temps à se stabiliser. C’est le passager qui va payer le gros prix. L’OTC, si on ne porte pas plainte, il ne fait jamais rien.

Jacob Charbonneau, PDG de l’entreprise Vol en retard

Dans ses remarques, MBelhaddad soulignait également que, vu l’absence de décisions de l’OTC, un flou persistait. Le Règlement est en vigueur depuis décembre 2019.

Maribelle Provost s’est retrouvée dans la même situation après avoir payé, à la fin de septembre, quelque 500 $ pour un aller-retour à Roatán (Honduras), avec un départ prévu le 20 janvier. Peu de temps après, elle recevait aussi un courriel l’informant qu’Air Transat annulait ses vols pour l’hiver.

Le séjour de Mme Provost, qui a fini par acheter un billet de Sunwing, lui coûtera 400 $ de plus.

« J’avais déjà payé pour des forfaits de plongée et l’hébergement, relate-t-elle, au bout du fil. Je ne pouvais pas annuler. Ce n’est pas tripant de prêter de l’argent à Transat. C’est la sensation que j’ai. »

Mme Provost n’est pas la seule à penser de cette façon. Sur les réseaux sociaux, plusieurs adeptes de Roatán ont déploré l’annulation de leur vol par Air Transat, qui est venue chambouler leurs plans. L’attente pour les remboursements était également vivement critiquée.

Le Honduras et Vancouver figuraient sur la liste des destinations du programme « hiver 2021-2022 » qui avait été présenté par Transat A. T. en juin dernier.

Sur le dos des voyageurs

Malgré plusieurs demandes effectuées par La Presse, il n’a pas été possible de réaliser une entrevue avec des représentants de Transat A. T. Sa porte-parole, Debbie Cabana, a indiqué, par courriel, que les délais étaient attribuables « au contexte de la pandémie et du volume global des remboursements à traiter ».

« Les clients dont le vol a été annulé et qui souhaitent une reprotection ou une alternative peuvent l’obtenir », a-t-elle écrit.

Mmes Lévesque et Provost ont dit ne jamais avoir été informées d’autres options que le remboursement. Interrogée, Mme Cabana a répondu qu’elle ne pourrait « ajouter plus de détails aux informations qui [n]ous [avaient] déjà été communiquées ».

Pour Gábor Lukács, président et fondateur du site Droits des voyageurs, Transat A. T. « sabote » la réglementation fédérale en agissant de la sorte.

C’est comme prendre un prêt sans intérêt sur le dos des passagers. Si l’OTC faisait son travail [plutôt que d’attendre les plaintes], il aurait envoyé un avertissement à Air Transat.

Gábor Lukács, président et fondateur du site Droits des voyageurs

Le dirigeant de Vol en retard déplore aussi que les compagnies aériennes tardent à remettre l’argent à leurs clients.

« On a vu cela pendant la pandémie, rappelle-t-il. On continuait à vendre des billets sachant qu’on annulerait des vols. Ce sont des millions à 0 % d’intérêt. Ça fait économiser beaucoup d’argent. »

MM. Lukács et Charbonneau affirment ne pas avoir constaté de situations similaires chez d’autres compagnies aériennes. Les politiques varient d’une entreprise à l’autre.

Chez Air Canada, il est par exemple indiqué qu’en cas d’annulation, le remboursement est prévu s’il est impossible de trouver une place dans un autre appareil ou en ajoutant une correspondance à l’itinéraire prévu.

« Ce qui est écrit semble correct, dit M. Lukács. Est-ce que c’est ce que fait Air Canada ? C’est une autre question. »

M. Lukács dit avoir reçu des plaintes de clients d’Air Canada qui éprouvaient des difficultés à convaincre l’entreprise de les réacheminer vers une autre compagnie en cas d’annulation.

Précision

Une version précédente de cet article présentait erronément Gábor Lukács, président et fondateur du site Droits des voyageurs, comme avocat. Nos excuses.

Annulations pandémiques : un remboursement bientôt ?

Le Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV) vient de donner signe de vie aux voyageurs qui attendent de récupérer leur argent à la suite de l’annulation de leur voyage à cause de la pandémie de COVID-19. Sur le site web de l’Office de la protection du consommateur, on peut lire depuis quelques jours que le gestionnaire des réclamations, la firme PricewaterhouseCoopers (PwC), « pourrait communiquer » avec les passagers ayant transmis une réclamation afin qu’ils mettent à jour leurs informations. « Dès lors, PwC analysera les renseignements indiqués et versera les remboursements », promet-on. En juin, Québec avait assuré que les remboursements commenceraient « en septembre ». Le FICAV offre une protection financière aux voyageurs qui font affaire avec une agence de voyages titulaire d’un permis de l’Office. Plus de 35 000 Québécois ont soumis une réclamation.

Marie-Ève Fournier, La Presse