CDPQ Infra confirme son intention de construire un court tunnel de 500 m pour son Réseau express métropolitain (REM) de l’Est au centre-ville de Montréal, un scénario « alternatif » d’abord révélé par La Presse la semaine dernière.

La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec a aussi rendu publiques jeudi deux études d’ingénieurs qui ont dicté son choix de construire une structure aérienne pour la majorité des 32 km de son futur réseau de train automatisé. De nombreux experts et élus, dont la mairesse Valérie Plante, exigeaient la publication de ces documents.

L’un de ces rapports, réalisé par AECOM-Systra, souligne que la construction d’un tunnel d’environ 5 km sous le centre-ville serait « réalisable » et « faisable », bien que complexe. CDPQ Infra estime toutefois que cette option est « non viable » et ferait courir des risques financiers impossibles à quantifier au bas de laine des Québécois.

« Pour notre part, par rapport à notre approche, c’est irresponsable de s’engager dans des projets dont on ne peut définir ni le coût ni l’échéancier », a fait valoir Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra.

Les gratte-ciel en sécurité

À la demande du gouvernement Legault, CDPQ Infra a étudié pendant 18 mois des dizaines de scénarios en vue de relier la pointe est et le nord-est de l’île au centre-ville de Montréal. Le groupe a annoncé en décembre dernier son projet du REM de l’Est, évalué à 10 milliards de dollars.

Dans une mise à jour publiée en février, CDPQ Infra avait indiqué que des immeubles pourraient être à risque d’effondrement si elle creusait un tunnel sous le boulevard René-Lévesque, précisément là où elle compte enfouir un tronçon de 500 m. Cette hypothèse a été écartée à la suite d’analyses plus poussées, indique le groupe.

Ni le rapport d’AECOM-Systra (daté d’avril 2021) ni celui de la firme Géocontrol (déposé il y a trois semaines) ne font état du risque d’écroulement de gratte-ciel dans ce tronçon.

Consultez le rapport réalisé par AECOM-Systra Consultez le rapport réalisé par Géocontrol

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jean-Marc Arbaud, grand patron de CDPQ Infra

Jean-Marc Arbaud a tenu à apporter des précisions sur ce scénario catastrophique relevé par CDPQ Infra en février, qu’il avait aussi évoqué publiquement à l’époque. Il convient que l’expression « tassement » aurait été plus appropriée pour décrire le risque encouru.

« Notre travail, c’est d’évaluer des risques et de regarder par rapport aux techniques, a-t-il dit. On pousse l’analyse technique le plus loin possible pour évaluer au mieux les risques et avoir les arguments. Là, le risque d’effondrement dans des projets complexes comme ça, c’en est un. Est-ce que j’ai dit que Montréal allait s’effondrer ? Non. »

Six scénarios

L’étude d’AECOM-Systra se penche sur quatre scénarios d’insertion souterraine du REM au centre-ville. Toutes les options présentent des obstacles de construction majeurs, dont la présence de sols mixtes qui complexifieraient le travail des tunneliers, des conduites d’égout et des aqueducs datant des années 1880, des massifs électriques et le croisement de deux lignes de métro (jaune et orange), situées à des profondeurs différentes.

L’un des scénarios évalue la possibilité de creuser un tunnel sous le boulevard René-Lévesque, qui viendrait s’insérer entre les lignes orange et jaune du métro, pour poursuivre sa route jusqu’à l’est du pont Jacques-Cartier.

IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

Un tel tracé obligerait le creusage du tunnel du REM de 2,5 à 3,5 m de chacune des deux lignes de métro. Cela exigerait d’obtenir des dérogations réglementaires en vertu de la Loi sur les sociétés de transport en commun du Québec, qui exige un dégagement minimum de 5 m.

La nature des sols à cet endroit et l’état inconnu des deux lignes de métro construites il y a 50 ans rendraient un tel exercice très risqué, souligne la coentreprise AECOM-Systra, qui a néanmoins déjà réalisé de tels chantiers ailleurs dans le monde. La possibilité d’un tassement des lignes de métro est bien réelle et pourrait forcer une interruption de service pendant une durée indéterminée, indique-t-on.

Le seul scénario jugé « faisable » et « réalisable » par AECOM-Systra est celui d’un tunnel qui partirait de la Place Ville Marie, passerait profondément dans le roc sous les deux lignes de métro, pour aboutir autour de la rue Bercy, le long de la rue Notre-Dame, un peu à l’est du pont Jacques-Cartier. Le train automatisé sortirait de terre à cet endroit pour migrer vers une structure aérienne.

IMAGE TIRÉE DU RAPPORT D’AECOM-SYSTRA

Selon ce scénario, les cinq stations souterraines du tracé seraient enfouies à une profondeur de 17 à 38 m, ce qui réduirait leur « attractivité », estime-t-on. De nombreux obstacles devraient aussi être contournés, comme un imposant égout de 3,35 m de diamètre, et des « précautions plus élevées » devraient être prises pendant le creusage du tunnel dans un sol mixte.

Il y a aussi un risque de tassement des voies ferroviaires du Canadien Pacifique, à l’est du tunnel. En définitive, ce tracé est jugé complexe, mais « réalisable » par AECOM-Systra.

Malgré la faisabilité technique d’un tel tunnel de 5 km, la somme des risques amène CDPQ Infra à écarter catégoriquement cette option. Le groupe espère générer des rendements financiers au profit des épargnants québécois avec ce réseau, dont il sera propriétaire, et souhaite éviter les dépassements de coûts incontrôlables.

« Un tunnel, c’est irréaliste, a dit Jean-Marc Arbaud. Personne ne va vouloir prendre cet engagement. Il n’y a pas un entrepreneur au monde qui va vous donner un contrat, pour dire, clé en main : “Je le fais.” C’est comme s’engager dans un projet dont on ne connaît ni les échéanciers ni le coût. Ça, c’est la réalité. »

CDPQ Infra refuse de fournir une estimation de la facture d’un tel chantier, mais maintient qu’une telle option serait « irresponsable », même si la responsabilité du projet devait être transférée au gouvernement du Québec, par exemple. Le groupe souhaite uniquement faire des projets « réalisables » sur les plans technique et financier, a-t-il répété.

CDPQ Infra estime que la construction d’un tunnel d’une profondeur d’environ 5 km entre la Place Ville Marie et l’est du pont Jacques-Cartier, sous les deux lignes de métro, ferait courir des risques de construction « moyens et maximaux » sur une distance de 2,2 km. Un tunnel situé entre les lignes jaune et orange serait quant à lui risqué sur 3,6 km.

Tunnel court

CDPQ Infra a tenu à obtenir des analyses supplémentaires d’une deuxième firme, Géocontrol, qui a rendu son rapport final à la mi-août. C’est ce groupe qui a proposé le nouveau scénario « alternatif » d’un tunnel court, révélé par La Presse la semaine dernière.

En vertu de ce nouveau scénario, qui serait intégré au « projet de référence » du REM de l’Est, la station terminale serait enfouie à l’angle des boulevards René-Lévesque et Robert-Bourassa. L’arrière-gare du réseau s’y trouverait aussi, une « optimisation » qui permettrait d’augmenter la fréquence des trains toutes les 90 secondes.

Ce tronçon souterrain permettrait de « préserver » l’entrée de la ville et ses bâtiments d’importance, dont la Place Ville Marie et la gare Centrale, selon CDPQ Infra. Cette option entraînerait toutefois la fermeture permanente d’une intersection, celle de Jeanne-Mance et René-Lévesque, là où les trains sortiraient de terre pour migrer vers une structure aérienne.

IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

Tracé du nouveau tunnel court proposé et sa sortie devant le complexe Desjardins

Le creusage pourrait par ailleurs se faire à l’aide de machinerie lourde dans la rue, sans tunnelier, dans un sol stable et loin de la nappe phréatique, précise-t-on. CDPQ Infra fera une mise à jour de l’incidence budgétaire de ce changement d’ici la fin de l’année.

En vertu de ce nouveau scénario, la sortie de terre du REM de l’Est se ferait en face du complexe Desjardins, entre le Quartier des spectacles et le quartier chinois. La première station aérienne du REM, appelée Saint-Urbain, se trouverait en réalité à l’angle des boulevards Saint-Laurent et René-Lévesque.

Levée de boucliers

De nombreux experts, élus et groupes de citoyens se sont fait entendre ces dernières semaines pour dénoncer certains aspects du REM de l’Est. Beaucoup craignent que les structures aériennes – qui composeraient 23 des 32 km du réseau – ne viennent défigurer des quartiers et nuire à leur qualité de vie.

Une quinzaine d’experts du gouvernement du Québec ont aussi émis de sérieuses inquiétudes à l’égard du projet, dans un rapport déposé en vue des séances du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui étudiera le REM de l’Est au début de 2022.

Jean-Marc Arbaud souligne « comprendre la problématique », mais dit avoir bon espoir que le futur réseau pourra être beau et bien intégré à son environnement. Il dit faire pleinement confiance au groupe de 15 experts mandatés par Québec pour assurer la réussite architecturale du projet.

« On va l’amener [le projet] au BAPE avec l’ensemble de tout ce qui est la vision architecturale, ce qui sera fait sur l’intégration urbaine, et c’est le mieux qu’on puisse proposer, réalisable. Personnellement, dans la vie, ça ne m’a jamais intéressé d’amener des choses qui ne sont pas réalisables. »

Le grand patron de CDPQ Infra estime que le groupe d’experts sur le REM pourrait commencer à présenter des images du projet en septembre ou en octobre.

Christian Ducharme, vice-président, ingénierie, chez CDPQ Infra, croit quant à lui que le comité d’experts pourra en arriver à un « consensus » sur un projet acceptable pour les Montréalais. Plusieurs éléments importants restent néanmoins à déterminer, comme la hauteur et l’amplitude de la structure aérienne, sur laquelle des trains circuleraient toutes les 90 secondes.

Selon certaines estimations, les rames circuleraient à une hauteur de trois ou quatre étages et les stations pourraient aboutir à quelques mètres des immeubles existants.

« Oui, il faut respecter les lois de la gravité, mais il y a des exemples très intéressants ailleurs dans le monde de ce qu’on peut faire, de projets qui sont architecturalement très intéressants, a rappelé M. Ducharme. On s’en inspire, on travaille avec des experts chevronnés, et j’ai très bon espoir qu’on va en arriver à un résultat intéressant. On en est là aujourd’hui. »

Selon nos informations, les discussions dans les huit séances du comité tenues jusqu’ici ont souvent été très animées. La firme Lemay a été nommée responsable de l’architecture du REM de l’Est, après le désistement de deux cabinets qui craignaient d’être associés à un enlaidissement permanent du centre-ville.