Les fondateurs d’Amika avaient abordé l’année 2020 avec optimisme.
Un peu trop, peut-être, mais qui peut savoir ?
Alors que la pandémie s’apprêtait à frapper, la jeune entreprise offrait des services d’aides-soignants (!) aux personnes âgées (!!) à domicile et en résidence (!!!).
L’idée était noble, pourtant.
Alexandre Blais et Gabriel Joubert-Séguin, « deux bons amis d’université », ont fondé Amika en 2018.
Ils avaient 29 ans et ils s’intéressaient aux personnes âgées.
« Quand j’étais jeune, j’ai vécu avec ma grand-mère, qui était atteinte d’alzheimer et qui est venue habiter avec nous pendant cinq ans, raconte Alexandre Blais. J’ai été témoin de ma mère qui était proche aidante. »
Gabriel Joubert-Séguin avait fait du bénévolat pour des aînés affectés par des déficiences intellectuelles.
« On se disait : comment peut-on rendre davantage accessibles des soins de qualité, avec les mêmes aides-soignants ? », poursuit Alexandre Blais.
Comment donner du répit et faciliter la vie des proches aidants ? Et comment rendre plus agréables et intéressantes les conditions des travailleurs de la santé qui veulent aider les personnes âgées ?
Alexandre Blais, directeur général et cofondateur d’Amika
Un beau projet d’entreprise, se sont-ils dit.
Leur projet s’articulait autour d’une application mobile qui, « sans être comme Uber, mais un peu à la Uber », permettrait à des préposés aux bénéficiaires, des infirmières à la retraite ou des étudiantes en soins infirmiers de consacrer quelques heures chaque semaine aux soins à domicile au moment qui leur conviendrait.
L’objectif était louable et utile : « optimiser la capacité limitée en travailleurs de la santé en leur permettant de travailler selon leurs disponibilités, en conciliation travail-famille, travail-retraite, travail-études ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Dans les bureaux d’Amika, entreprise qui offre des services d’aides-soignants à domicile avec une équipe de 250 employés à temps partiel, qui travaillent selon leurs disponibilités.
Grâce à l’application développée à l’interne, les employés reçoivent les propositions de mandats, leur horaire et la description de leur affectation sur leur téléphone intelligent.
« Souvent, ce sont des affectations à long terme. Ils peuvent être avec le même client sur de longues périodes. Ça crée une relation de confiance. »
Au début de 2020, l’entreprise comptait cinq employés et avait réuni une troupe de 150 aides-soignants. Ils travaillaient surtout pour des particuliers, mais le quart des mandats étaient accordés par des CLSC pour des soins à domicile ou en résidence.
Tout allait bien.
La tempête
Et la tempête pandémique a commencé à souffler.
Les clients ont annulé leurs services. Les résidences ont fermé leurs portes au personnel d’Amika.
« On va dans les domiciles des gens, alors que le mot d’ordre était de ne faire entrer personne ! », s’exclame Alexandre Blais.
« Il fallait rassurer nos clients, mentionner que nos aides-soignants avaient la formation et l’équipement nécessaires. »
Équipement qu’il a fallu trouver, alors que tout le Québec institutionnel se lançait dans la chasse au trésor.
« Imaginez la petite entreprise de soins à domicile ! », poursuit-il.
On courait, on appelait des dizaines de fournisseurs, les délais étaient longs. Moi-même, j’allais courir les pharmacies Jean Coutu pour prendre la quantité maximum permise, quelquefois à 2 ou 3 dollars le masque, pour ensuite aller les distribuer à nos aides-soignants.
Alexandre Blais, directeur général et cofondateur d’Amika
Alors que le coronavirus conservait encore tout son mystère, les aides-soignants étaient aussi inquiets que leurs clients. Plusieurs sont restés à la maison pour s’occuper de leurs enfants confinés.
« Il a fallu les rassurer, on a dû en remplacer beaucoup. »
Les clients qui demeuraient fidèles voulaient s’assurer que les préposés qui se présentaient chez eux ne venaient pas de terminer leurs quarts dans un CHSLD.
« Il a fallu entièrement refaire les horaires afin qu’on ait un seul aide-soignant par client et qu’on limite leurs va-et-vient. »
Et vlan : la prime aux préposés
C’est alors que le gouvernement a annoncé une prime de 4 $ l’heure pour les préposés aux bénéficiaires qui travaillaient dans les résidences et les CHSLD.
« Mais il n’y avait pas de primes pour ceux qui travaillaient en soins à domicile », relate Alexandre Blais.
Par équité et pour éviter la désertion, « on a dû nous-mêmes donner nos propres primes, et pendant quelques mois, on a roulé à perte ».
Mais c’est peut-être l’aspect psychologique qui a le plus lourdement pesé sur les épaules des fondateurs, dans une entreprise où tout repose sur les rapports entre humains.
« Il faut rassurer les clients, rassurer les êtres humains, alors que nous-mêmes, on n’est pas nécessairement optimistes au fond de nous. Il faut rassurer, rassurer, mais nous, on n’est rassurés par personne. »
Optimisme
Mieux préparée, mieux équipée, avec un personnel au moral renforcé, Amika a traversé la deuxième vague sans chavirer.
« L’équipement, c’est réglé. On paie maintenant 30 cents le masque au lieu de 3 $, constate Alexandre Blais. Maintenant, on a une livreuse qui va livrer l’équipement à tous nos aides-soignants à leur domicile. »
L’entreprise compte à présent 13 employés au siège social. Son régiment aligne 250 aides-soignants, « et ça grossit de 5 à 10 par semaine ».
Les CLSC procurent maintenant la moitié des mandats. Les proches aidants, qui ont redoublé d’efforts pendant la pandémie, auront bientôt besoin de répit. « On va être prêts ! », assure Alexandre Blais. « Notre offre de services est plus pertinente que jamais. »
Il prévoit l’élargir aux soins infirmiers et au prêt d’équipements pour proposer une « offre un peu plus intégrée ».
Pour l’instant, Amika travaille dans la région métropolitaine.
« Pourquoi pas dans l’ensemble du Québec, ou même au Canada ? Qui sait ? On est pas mal plus optimistes, maintenant. »
Tout autant qu’au début de 2020, mais plus à raison, peut-être.