C’est la grande surprise de l’année dans l’industrie de la beauté : pendant que les ventes de maquillage s’effondraient, celles de produits pour les soins du corps ont explosé.

C’est « l’effet rouge à lèvres » réinventé. Phénomène qui remonte à la Grande Dépression de 1929, il revient à l’étude à chaque crise économique. Quand les temps sont durs, les femmes achètent des produits de luxe abordables, comme le rouge à lèvres, à défaut de pouvoir s’offrir le vrai luxe.

« On l’a vu plus récemment avec la crise financière de 2008. Les femmes se tournaient vers des produits de maquillage accessibles, pour se sentir bien dans leur peau et remonter leur moral », explique le PDG de L’Oréal Canada, Frank Kollmar.

Mais de nombreuses femmes travaillant à la maison depuis le printemps dernier, le besoin de se maquiller n’est plus le même. Au contraire, elles cherchent plutôt le confort, la détente. « C’est ce qui explique pourquoi on voit une augmentation des ventes des soins pour le corps », poursuit M. Kollmar.

Spécialisée en soins dermocosmétiques, Karine Joncas a justement adapté ses communications à la nouvelle tendance. « Tout le monde était plus stressé, on a mis l’attention sur le cocooning, sur le plaisir de s’offrir un moment de détente à la maison. On est chanceux, la crise a joué en notre faveur », indique Maude Guay-Marleau, chef d’équipe des communications.

Pour l’ensemble de l’année 2020, Karine Joncas a connu une augmentation des ventes de 20 % par rapport à l’année 2019. L’entreprise de 40 employés, qui avait dû se départir de 2 personnes au printemps dernier, a depuis retrouvé une équipe complète.

Des innovations

En mars dernier, l’industrie de la beauté s’est effondrée. « Ç’a été un choc monumental. Du jour au lendemain, on n’avait plus de ventes », se rappelle Mélissa Harvey, fondatrice et directrice générale de Zorah.

Le fabricant de produits de beauté naturels situé à Montréal était en plein lancement lorsque la crise sanitaire a frappé. Deux de ses principaux points de vente, les instituts de beauté et les spas, ont fermé leurs portes. « C’était la catastrophe, c’est toute l’industrie qui était chamboulée », poursuit-elle.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Mélissa Harvey, fondatrice et directrice générale de Zorah

Pour maintenir leur croissance, les marques ont dû se réinventer.

La filiale canadienne du géant des produits de beauté L’Oréal, qui emploie 800 personnes au Québec, a mis en place des programmes de solidarité pour soutenir ses microentreprises partenaires, comme les salons de coiffure, particulièrement touchées par la crise. Les créances ont été suspendues et les délais de paiement aux fournisseurs ont été raccourcis. Elle a aussi agrandi sa centrale de distribution de Saint-Laurent pour accélérer les ventes en ligne.

Du côté de Zorah, ce sont les épiceries naturelles, qui sont demeurées ouvertes lors du premier confinement, qui ont fait la différence. Ça, et une nouvelle stratégie de vente mise au point par sa fondatrice : des vidéos en direct sur Facebook pour conseiller et promouvoir ses produits. « On pouvait avoir 10 000 vues dans nos lives ! Notre clientèle nous suit de près sur les réseaux sociaux. Elle veut nous soutenir et elle l’a fait », raconte fièrement Mme Harvey.

Après une restructuration importante en mars dernier, l’équipe d’une quarantaine d’employés sent enfin le vent tourner. Sa nouvelle gamme de soins pour la peau adaptée au port du masque et de gel désinfectant s’est très bien vendue, et Mme Harvey a réembauché 85 % de son personnel.

Miser sur l’achat local

Alors que certains fabricants ont sauté sur la production de gels désinfectants, Jouviance, établie à Montréal, a tout misé sur l’étiquette locale. La marque de soins pour la peau récemment associée au fabricant québécois Functionalab a diffusé un nouveau slogan, « Fait ici par des gens d’ici », pour favoriser l’appartenance locale.

D’ailleurs, Jouviance a réussi ce que peu d’entreprises du domaine ont eu les moyens de faire en 2020 : elle a agrandi son équipe. « On a réussi à sortir de nouveaux produits et à faire de nouveaux investissements pour garder notre monde », explique la vice-présidente et directrice générale Magali Philippot.

De nature optimiste, elle espère que l’engouement pour le Panier bleu persistera après la pandémie. « Au bout du compte, 2020 a été une bonne année, mais on vise quand même mieux pour 2021 ! »