Pour conserver son personnel en cuisine au travers de la crise, le proprio d’un bistro de Bromont s’est lui-même mis sur le gril : il donne des cours de cuisine sur l’internet en direct, en fournissant les ingrédients préparés dans son établissement. Gros succès.

Au début de l’année, Luc Viens s’était enfin trouvé un cuisinier français, fraîchement arrivé au Québec.

« Par manque de personnel, je roulais sur le frein à main depuis les trois dernières années », explique le propriétaire du populaire Bistro Le 633, rue Shefford, à Bromont.

À partir du 22 mars, il n’a plus roulé du tout.

Mais pas question de perdre son chef français.

Restaurateur impromptu

En 2012, Luc Viens avait fait une offre pour l’achat d’une résidence secondaire à Bromont. Le jour même de la signature, un peu en avance, il déambulait dans la rue principale du village quand il a avisé une jolie maison ancestrale à vendre.

« Je l’ai achetée. »

Pas pour l’habiter, mais pour en faire un restaurant.

« C’était un rêve un peu refoulé. J’ai ouvert le resto avec zéro expérience de restaurateur. » Avec une longue expérience en vente et une idée bien arrêtée, toutefois : il ne servirait les plats que sous forme d’entrées, que les clients se partageraient dans une alléchante convivialité.

Avec ses terrasses couvertes et chauffées, l’établissement peut maintenant accueillir jusqu’à 160 personnes.

Tendre, son filet

Contraint à la fermeture par le confinement, Luc Viens s’est rabattu sur les repas à emporter, ce qu’il n’avait jamais voulu faire auparavant.

Mais serait-ce suffisant ?

« Je me suis dit : il faut que je fasse quelque chose pour garder le contact avec ma clientèle et garder mon personnel en cuisine le plus possible. »

Son chef français, notamment. « Quand ils ont commencé à parler de filet social, lui n’avait accès à rien. »

Comment le faire passer du filet social au filet de bœuf ? « J’ai à peine dormi pendant quelques jours, raconte-t-il. Je suis entré comme en mode créativité. »

Et l’idée est venue. En basse saison, son restaurant avait déjà offert des services de chef à domicile. Cuisinier autodidacte mais talentueux, Luc Viens s’était lui aussi rendu chez les clients.

Il y a moyen de monter un menu et de faire une préparation pour que les gens puissent le faire à la maison en me suivant.

Luc Viens, propriétaire du Bistro Le 633, à Bromont

Il fournirait les ingrédients dans une boîte que les amateurs viendraient chercher au restaurant, puis il les guiderait en cuisinant devant eux en direct sur l’internet.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Luc Viens préparant ses multiples commandes en vue du week-end dernier

Il se sentait cependant plus à l’aise avec une casserole qu’avec Facebook Live. Il a donné un coup de fil au producteur François Dupuis, qui présentait depuis quelque temps des spectacles de chansonniers dans son restaurant.

« Il a une caméra démo et il m’a dit : c’est hyper simple, je vais t’organiser ça. »

Décidé à tenter le coup dès la fin de semaine suivante, « j’ai regardé ce que j’avais dans le frigo », poursuit-il.

Il y a trouvé 18 bouts de côtes de bœuf (short ribs). Il pouvait tendre son filet. Le 25 mars, il a fait une annonce vidéo sur Facebook. En quelques heures, 18 personnes ont répondu à son appel enthousiaste. Trop enthousiaste, peut-être : il avait oublié de se réserver un bout de côtes pour sa démonstration. « Il a fallu que je rappelle quelqu’un pour lui dire : je m’excuse, j’en ai trop vendu. »

Deux jours plus tard, il s’est installé vers 18 h 30 devant la caméra tenue par François Dupuis.

Entre la préparation des services, l’amphitryon virtuel s’attablait pour les déguster, en compagnie de ses hôtes en ligne. Chacune des 17 boîtes servant deux personnes, « j’avais 34 personnes qui pouvaient manger avec moi ».

Les joues rouges

La fin de semaine suivante, il a vendu 30 boîtes. Ensuite 55, puis 80. Il a atteint un sommet de 161 boîtes le 9 mai, 7e anniversaire de l’ouverture du restaurant.

Sa prestation, quelquefois introduite par un chansonnier, peut durer quatre heures. « Quand on ferme la caméra, je suis vidé. Parce que je n’ai pas de texte. C’est une grosse improvisation. »

Vidé, mais plein. « Je bouffe toute la soirée, et à la fin, je commence à déparler et je finis les joues rouges », dit-il en rigolant.

La préparation des boîtes, qui incluent ou non le vin, demande jusqu’à trois jours.

Tous les samedis matin, le directeur du bistro charge sa voiture et va distribuer les boîtes aux points de chute qui ont été ajoutés, dont un à Magog et un autre à Saint-Hubert.

L’agape du samedi 13 juin sera sans doute la dernière. Pour la réouverture prochaine, Claude Viens veut remettre son bistro en état, qui « a plus l’air d’un studio d’enregistrement que d’une salle à manger ».

Il songe cependant à reprendre l’expérience à l’automne, peut-être un dimanche soir par mois, pour les résidants locaux qui auront retrouvé le calme de leur propriété, tandis que leurs visiteurs du week-end reprennent la route de Montréal.

Car il a pris goût à ces rencontres, qui constituent autant un divertissement sans prétention qu’un cours de cuisine. « J’ai des commentaires incroyables. C’est du sacrifice de beau gaz de se faire écrire le dimanche par un amateur de pétoncles : ‟À 62 ans, tu m’as appris à les faire cuire !’’ »

Avec les plats à emporter et la cuisine en direct, il a réussi à maintenir 30 % de son chiffre d’affaires. Les trois quarts de cet apport sont attribuables aux démonstrations du samedi soir.

« Le Bistro 633 va sortir de la crise en ayant été pas trop écorché », se réjouit-il.

Et son cuisinier français ? « Il travaille à temps plein grâce à cette initiative-là. »

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