En une semaine, une dizaine d’investisseurs ont déjà manifesté officiellement leur intérêt pour financer ou acheter le Cirque du Soleil.

La plupart de cette dizaine de prétendants sont des investisseurs institutionnels ou des fonds d’investissement de l’extérieur du Québec. Il y a aussi quelques investisseurs stratégiques mondiaux du milieu du divertissement.

Pour l’instant, aucune entreprise québécoise n’a signifié son intention de participer officiellement au processus, même si le Cirque a reçu « beaucoup d’appels » d’intérêt de la part d’entreprises québécoises.

« La Caisse de dépôt a un rôle important à jouer dans le dossier, a dit Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque du Soleil. Pour nos employés et pour nous, c’est très rassurant d’avoir l’appui [de la Caisse]. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque du Soleil

On a bon espoir qu’il va y avoir des intérêts québécois.

Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque du Soleil

Québecor, conglomérat de télécoms et de médias contrôlé par Pierre Karl Péladeau, a signifié publiquement son intérêt pour acheter le Cirque du Soleil. Québecor n’a toutefois pas pris part pour l’instant au processus officiel du Cirque, mené par la Banque Nationale, qui a commencé vendredi dernier.

Le Cirque estime qu’il y aura au total une vingtaine de prétendants sur la ligne de départ. Les prétendants déposeront vraisemblablement leur première offre en juin (la date limite n’est pas encore fixée). Le processus devrait prendre de deux à trois mois. Daniel Lamarre s’attend à terminer le processus avec « quatre ou cinq groupes qui vont se rendre à la ligne d’arrivée », comme ce fut le cas lors du processus de vente en 2015.

À la fin du processus, le Cirque choisira donc la meilleure offre pour se refinancer, trouver des actionnaires supplémentaires (recapitaliser l’entreprise) ou encore trouver un nouvel acquéreur. L’entreprise prendra cette décision entre la mi-juillet et la mi-août, ou au plus tard au début de septembre.

TPG prépare une offre et demande le soutien de Québec

Selon nos informations, l’actionnaire de contrôle actuel du Cirque, le fonds américain TPG, prépare une offre pour refinancer ou recapitaliser le Cirque. Pourquoi doit-il faire une offre pour refinancer sa propre entreprise ? Parce qu’il cherche en même temps à renégocier la dette de 890 millions US du Cirque du Soleil.

Comme le Cirque n’a plus de revenus, il ne peut pas payer les intérêts sur sa dette. Comme TPG ne veut pas réinjecter l’argent pour payer les intérêts sur la dette de 890 millions US, il doit négocier avec les créanciers du Cirque. C’est notamment afin d’obtenir la meilleure offre possible, à la fois pour l’entreprise et ses créanciers, que le Cirque a engagé la Banque Nationale pour faire un appel de propositions.

L’issue d’un tel processus entraîne souvent la vente à un nouvel acheteur (c’est d’ailleurs ce qui était arrivé avec le Cirque en 2015). Mais, en théorie, il y a trois solutions possibles : 1) les actionnaires actuels sont forcés de vendre l’entreprise au complet (ils l’ont achetée pour 1,5 milliard US en 2015); 2) ils accueillent de nouveaux investisseurs en acceptant de diluer leur participation (l’argent injecté par les nouveaux investisseurs permettra au Cirque de traverser la crise); et 3) ils trouvent du financement pour passer à travers la crise.

Selon nos informations, TPG, appuyé par les deux autres actionnaires, Fosun et la Caisse de dépôt, aurait l’intention de déposer une offre pour refinancer ou recapitaliser le Cirque. Dans le cadre de cette offre, les trois actionnaires du Cirque ont demandé un prêt de plusieurs centaines de millions de dollars au gouvernement du Québec. Québec doit faire connaître sa réponse au cours des prochains jours.

Actuellement, le Cirque n’est pas en mesure de rembourser sa dette de 890 millions à des créanciers garantis, pour la plupart des institutions financières. Si la dette ne peut pas être remboursée, les créanciers pourraient prendre le contrôle du Cirque du Soleil. Généralement, les créanciers évitent un tel scénario et préfèrent s’entendre avec le débiteur en défaut, en réduisant la créance.

Impossible de savoir pour l’instant de combien les créanciers pourraient être contraints de réduire leur créance. C’est pourquoi la Banque Nationale a été mandatée pour trouver la meilleure offre pour le Cirque du Soleil et les créanciers. La dette du Cirque se négocie actuellement à environ 48 % de sa valeur originale. Le marché estime donc que la dette de 890 millions US vaudrait en réalité 430 millions US selon les conditions actuelles.

Tout acheteur – que ce soit TPG ou un nouvel acquéreur – devra négocier avec les créanciers garantis afin de mettre la main sur le Cirque.

Tous les scénarios sont sur la table. [Mais au départ], l’intention de TPG est très claire : c’est de demeurer, en collaboration avec Fosun et la Caisse, [actionnaire] majoritaire.

Daniel Lamarre

Selon lui, le scénario envisagé au départ par TPG passe donc par une recapitalisation et par l’arrivée de nouveaux actionnaires minoritaires.

Le fonds américain TPG détient 55 % du Cirque, le fonds chinois Fosun, 25 %, et la Caisse de dépôt et placement du Québec, 20 %. Citant sa politique de ne pas commenter ses discussions d’affaires, TPG n’a pas voulu confirmer jeudi s’il souhaitait toujours demeurer actionnaire majoritaire du Cirque du Soleil au terme du processus. La Caisse de dépôt a aussi refusé de commenter le dossier.

« Une marque mondiale en santé »

Les investisseurs intéressés par l’achat ou le financement du Cirque du Soleil examineront à la fois une entreprise qui est en difficulté financière à court terme en raison de la pandémie et de son endettement, mais aussi une entreprise qui était profitable avant la crise actuelle.

En 2019, le Cirque du Soleil a généré des profits de 155 millions US sur des revenus de 1,4 milliard US, une marge de profit de 11 %. L’entreprise traîne aussi la dette déjà mentionnée d’environ 890 millions US, une marge d’endettement équivalente à 5,75 fois ses profits annuels.

« Le Cirque était rentable [avant la pandémie], rappelle son président et chef de la direction, Daniel Lamarre. L’entreprise n’a aucun revenu depuis deux mois, mais ce qui est encourageant, c’est qu’elle génère beaucoup d’intérêt. Beaucoup d’investisseurs s’intéressent à nous. »

C’est une marque mondiale en santé. Les gens du milieu financier semblent reconnaître la valeur de la marque.

Daniel Lamarre

Pour tenir le coup jusqu’en septembre, le Cirque du Soleil a obtenu récemment un financement intérimaire de 50 millions de la part de ses actionnaires actuels (ceux-ci ont eu en garantie la propriété intellectuelle mondiale du Cirque à l’exception des États-Unis et de l’Australie).

Ensuite, le Cirque du Soleil estime avoir besoin de 200 millions de dollars d’ici un an et demi pour payer les frais d’intérêt de sa dette ainsi que ses dépenses avant de reprendre ses activités de façon normale.

Retour progressif à Las Vegas à l’automne ?

Avec le retour de certaines activités de divertissement en Chine – Disneyland a rouvert ses portes à Shanghai cette semaine avec des restrictions –, le Cirque du Soleil discute avec son promoteur chinois pour le retour de son spectacle permanent à Hangzhou.

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

En 2019, le Cirque du Soleil a généré des profits de 155 millions US sur des revenus de 1,4 milliard US, une marge de profit de 11 %. L’entreprise traîne toutefois une dette d’environ 890 millions US.

En ce qui a trait à Las Vegas, qui constitue 40 % du chiffre d’affaires du Cirque, l’entreprise québécoise s’imagine plutôt un retour progressif à partir de l’automne. Daniel Lamarre a des discussions quotidiennes à ce sujet avec MGM, le partenaire du Cirque à Las Vegas.

Le Cirque pourrait fonctionner dans un environnement où il faut réduire la capacité des salles de 50 %, afin de laisser un siège vide à côté de chaque spectateur pour respecter les normes de distanciation physique. « Oui, ça peut fonctionner », dit Daniel Lamarre.

Pour la majorité de nos spectacles, nous faisons nos frais à 35 % ou 40 % de capacité. Ce ne serait pas idéal, mais ce serait viable.

Daniel Lamarre

Un tel scénario permettrait au Cirque de rappeler plus vite au travail ses employés. Il y a deux mois, le Cirque a mis à pied 95 % de ses employés, soit environ 4700 personnes, dont environ 1100 des 1300 employés du siège social de Montréal.

« C’est sûr que le Cirque va exister dans un an, dit Daniel Lamarre. Malheureusement, ça va prendre plus de temps qu’on le croyait. C’est difficile [quand je pense aux employés]. C’est horrible, ce que vivent ces gens-là. On souffre à court terme pour assurer la survie de l’entreprise à long terme. Quand l’entreprise va être restructurée, j’espère qu’on va pouvoir aider nos employés. »

Un retour de Guy Laliberté ?

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Guy Laliberté, cofondateur du Cirque du Soleil

Cette semaine, le cofondateur du Cirque Guy Laliberté a annoncé qu’il songeait à « sauter dans l’arène » pour redevenir actionnaire de l’entreprise. M. Laliberté a été actionnaire majoritaire du Cirque jusqu’à la vente à TPG en 2015. Il était actionnaire minoritaire jusqu’à février dernier, alors qu’il a vendu son dernier bloc de 10 % des actions à la Caisse de dépôt. « J’ai travaillé avec Guy pendant 15 ans. Sur le plan personnel, ça m’a touché. Je suis certain que c’est un cri du cœur qui a été bien perçu », dit Daniel Lamarre, qui doit rester « complètement indépendant » par rapport aux propositions des différents groupes.