(Ottawa) Au moins une entreprise canadienne est optimiste quant à ses perspectives en Arabie saoudite, mais plusieurs autres craignent pour leur avenir dans le royaume dans la foulée du conflit diplomatique avec Ottawa.

La firme d’ingénieurs montréalaise WSP Global a continué d’obtenir des contrats d’infrastructure en Arabie saoudite, même après qu’un différend a éclaté avec le Canada l’été dernier, a souligné Isabelle Adjahi, vice-présidente des relations avec les investisseurs et des communications d’entreprise.

Le portefeuille d’éventuels projets pour la société en Arabie saoudite est « prometteur », a-t-elle assuré.

« Nous touchons du bois, mais nous sommes positifs en ce qui a trait à l’Arabie saoudite pour le moment », a affirmé vendredi Mme Adjahi, lors d’une entrevue. « Nous sommes toujours prudents et nous examinons les choses avec attention, mais nous […] croyons qu’il y existe des occasions pour nous. »

L’Arabie saoudite a exercé des représailles contre le Canada en août, après que la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a exprimé des critiques sur Twitter à propos de l’arrestation par le régime de militantes pour les droits des femmes.

Furieux de cette déclaration, Riyad a suspendu ses relations diplomatiques avec le Canada, expulsé l’ambassadeur du Canada et rappelé son propre émissaire.

L’Arabie saoudite a également annoncé qu’elle bloquerait les nouvelles ententes commerciales avec des entreprises canadiennes. Certaines entreprises ont signalé avoir déjà ressenti les effets négatifs de ces représailles.

La société en difficulté SNC-Lavalin, l’une des principales concurrentes de WSP, a imputé certains de ses récents malheurs au conflit diplomatique.

« En plus de nous-mêmes, de nombreuses entreprises canadiennes ont observé un ralentissement dans l’attribution de contrats, ou l’interruption de l’attribution de contrats ou des investissements en Arabie saoudite », a affirmé jeudi le chef de la direction de SNC-Lavalin, Neil Bruce, lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de l’entreprise, à Montréal.

« Nous avons vu un certain nombre d’occasions s’évanouir alors que nous nous serions normalement attendus à avoir une probabilité raisonnable de succès. Cela a eu un effet, assurément. »

SNC-Lavalin s’est également retrouvée au cœur d’une controverse politique qui a submergé le gouvernement Trudeau plus tôt cette année, à la suite d’allégations d’ingérence politique dans ses déboires judiciaires.

Laisser la politique aux politiciens

En ce qui a trait à la poursuite des travaux de WSP en Arabie saoudite, Mme Adjahi a estimé que ses succès, malgré les tensions diplomatiques, pouvaient être attribués à sa structure d’entreprise.

Les entités de WSP à travers le monde travaillent de manière indépendante, a-t-elle expliqué. Par exemple, ses activités au Moyen-Orient sont principalement réalisées par des employés locaux et ont leur propre chef de la direction, directeur financier et équipe des ressources humaines.

« Le travail effectué localement n’est pas discuté ou supervisé par l’équipe canadienne ici, c’est vraiment une équipe locale ayant une relation avec les clients », a poursuivi Mme Adjahi. Elle a précisé que le siège social de WSP à Montréal comptait environ 150 employés.

La société a participé à d’importants projets d’infrastructure en Arabie saoudite, tels que les systèmes de métro de Riyad et de La Mecque, a-t-elle noté.

WSP est en train de rénover ses bureaux en Arabie saoudite et, depuis l’acquisition de Berger Group, en décembre, la société emploie maintenant près de 300 personnes dans le pays, comparativement à environ une centaine avant l’accord, a-t-elle déclaré.

Les relations entre le royaume et le Canada ont été mises à rude épreuve — tout comme ses relations avec de nombreux membres de la communauté internationale — lorsque des détails ont émergé, à l’automne dernier, sur le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Interrogée sur les préoccupations en matière d’éthique et de relations publiques liées au travail en Arabie saoudite, Mme Adjahi a répondu que WSP évitait de se mêler de politique et se concentrait uniquement sur les contrats.

« Nous laissons les discussions politiques aux politiciens », a-t-elle affirmé.

Le gouvernement libéral s’est dit déçu de la réaction de l’Arabie saoudite face à l’expression des préoccupations du Canada, l’été dernier, au sujet des droits de la personne.

Une porte-parole du ministre du Commerce international, Jim Carr, a indiqué que le gouvernement entretenait des relations régulières avec des responsables saoudiens, y compris au niveau ministériel, afin de résoudre les tensions commerciales.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre Jim Carr.

Des documents fédéraux internes préparés pour M. Carr ont décrit comment la décision de l’Arabie saoudite de punir les entreprises canadiennes avait été rapide et comment son incidence avait été ressentie moins d’un mois après le début de la querelle diplomatique.

Des entreprises ont été contraintes de faire face à des refus de visa, à une interdiction imposée par le gouvernement saoudien sur les produits alimentaires en provenance du Canada et au blocage des expéditions dans les ports du royaume, selon une note d’information adressée à M. Carr en septembre. Le document a été obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.