Bien des participants à ces programmes de franchises d'entreprises de peinture en sortent enchantés : ils font beaucoup d'argent et, en travaillant fort, apprennent plus en un été sur la gestion d'entreprise qu'en trois ans d'université, disent-ils.

Pour d'autres, malheureusement, c'est un gouffre financier. Plaintes aux normes du travail de la part d'employés impayés, poursuites aux petites créances de clients insatisfaits, dettes qui s'accumulent... Certains étudiants apprennent à la dure les risques d'être entrepreneur.

« Quand j'ai abandonné le programme en juillet j'avais 8000 $ de dettes, et je ne voyais pas comment j'allais remonter la pente. Les frais étaient trop élevés, je perdais de l'argent au lieu d'en gagner », raconte Claudy Marie Pierre, qui a lancé une franchise du Programme de développement d'entreprises (PDE) en 2015, alors qu'elle étudiait à Concordia.

Des histoires comme celle de Claudy Marie ou d'autres franchisés qui n'ont pas fait d'argent pendant l'été, ou qui ont été poursuivis par des clients ou des employés, sont passées sous silence.

« Les étudiants qui témoignent ont fait plusieurs dizaines de milliers de dollars, mais parlent peu des frais et des risques potentiels », rapporte Francis Bouchard, président de l'Association étudiante de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, qui a traversé le processus de sélection, mais n'a pas participé au programme.

Beaucoup de frais

« Beaucoup de jeunes rêvent de devenir entrepreneurs, mais ce n'est pas pour tout le monde. Les risques sont importants pour des étudiants de 18 ou 20 ans », souligne Marie-José Beaudin, directrice du centre de placement de la faculté de gestion de l'Université McGill. L'établissement interdit d'ailleurs à ces entreprises de recruter sur le campus.

Les frais de démarrage peuvent dépasser 5000 $, notamment pour l'achat de la franchise et du matériel, avant même que le franchisé n'ait fait un seul dollar de revenu. Pas d'argent pour payer ? Prenez une marge de crédit, ont suggéré certains recruteurs.

Jean-Sébastien Genest, vice-président du Programme de développement d'entreprises, soutient que ses recruteurs ne suggèrent jamais aux étudiants de s'endetter pour payer les frais. « Ça fait six ans que je suis coach, et moins de 5 % des franchisés échouent, la moyenne des gains est de 10 000 à 20 000 $, dit-il. On les prévient des risques, mais certains dépensent trop et ne font pas assez d'efforts. »

Claude Ananou, professeur à HEC Montréal, a souvent vu des jeunes tenter de s'immiscer dans ses cours pour faire de la sollicitation, même si c'est interdit. Les témoignages de ses étudiants ne lui donnent pas une très bonne impression de ces programmes, et les redevances à payer sur les contrats (24 à 31 %) lui semblent élevées.

« Je trouve évidemment que c'est une bonne idée que les étudiants aient une expérience en affaires, mais des redevances aussi élevées, on ne voit pas ça souvent. »

« Les documents qu'ils font signer ressemblent d'ailleurs plus à des contrats d'adhésion qu'à des contrats de franchise, c'est-à-dire que l'étudiant doit le signer tel quel », poursuit le professeur Ananou. 

Qui sont les réseaux de franchises de peintres étudiants ?

Les plus connus sont Peintres étudiants (Student Works Painting), College Pro, Qualité Étudiants et Programme de développement d'entreprises/Étudiants à votre service (Business Development Program/Scholars at Your Service).

Travail non payé

Sur les forums d'emploi, plusieurs peintres étudiants se plaignent de ne pas avoir été payés pour toutes les heures travaillées. La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) reçoit chaque année plusieurs plaintes à ce sujet. « La plupart des étudiants sont des débutants, alors que les estimations sont basées sur le travail de peintres professionnels, souligne MJohanne Tellier, avocate pour l'organisme. Si on les paie 10 heures, mais que le contrat en prend 15, leur salaire horaire sera inférieur au salaire minimum. »

Le PDE n'encourage pas ces pratiques, affirme Jean-Sébastien Genest. « L'employé ne devrait jamais recevoir moins que le salaire minimum. S'il y a eu une erreur d'estimation, c'est au gérant d'en subir les conséquences. »

Le manque d'expérience entraîne des retards, mais aussi parfois des travaux mal faits, comme en témoignent quelques poursuites de clients aux petites créances et des commentaires sur des forums de décoration.

Les jeunes franchisés visés par ces plaintes sont souvent eux-mêmes victimes du programme, selon MTellier. 

« Ils se retrouvent dans les souliers d'un employeur à 21, 22 ans, et embauchent des peintres guère plus jeunes qu'eux. Ils se font dire qu'ils sont des entrepreneurs, mais leur contrat impose des directives précises et des frais qui laissent peu de marge de manoeuvre pour faire les choses autrement. »

Leila Azad a eu une bien mauvaise expérience avec sa franchise en 2006 : elle dit avoir encaissé des pertes de 35 000 $. Elle a été poursuivie devant la Commission des normes du travail par deux peintres pour salaire impayé.

Elle-même a poursuivi le franchiseur Peintres étudiants au tribunal des petites créances pour 7000 $ (le maximum à l'époque), l'accusant de fausse représentation et de ne pas lui avoir offert une formation adéquate, ni le soutien requis quand elle en a eu besoin. En 2011, un jugement lui a donné raison en partie et lui a accordé 2500 $.

« L'entreprise a touché ses redevances de 30 % sur mes contrats. Pour eux, les revenus sont garantis, mais je n'ai pas eu d'aide quand j'ai eu des problèmes », dit Leila Azad, aujourd'hui étudiante à l'École du Barreau. 

« Ils dépendent de nous pour faire de l'argent et mettent beaucoup de pression pour vendre des contrats, témoigne Benjamin Wheeler, étudiant à McGill qui a eu sa franchise de Peintres étudiants en 2015. Ils donnent un peu de formation en peinture, mais insistent surtout sur les techniques de vente et de marketing. »

« Ça faisait peur : en mai, j'avais vendu pour 20 000 $ de contrats, mais je n'avais encore jamais peint une maison de ma vie. La compagnie te pousse à faire quelque chose sans que tu saches si tu seras capable de le faire. »

Personne chez Peintres étudiants n'a donné suite à nos demandes d'entrevue.

Comment ça marche?

Automne

Dans les universités ou par les réseaux sociaux, les étudiants sont invités à des rencontres d'information sur une expérience en entrepreneuriat : l'achat d'une franchise pour faire des contrats de peinture qu'ils vont administrer avec un mentor qui touche un pourcentage des ventes. On leur présente les revenus potentiels. Après sélection, les étudiants retenus signent un contrat et font un premier paiement pour acheter leur franchise. Les contrats prévoient des pénalités pour ceux qui partent avant la fin.

Hiver

Les nouveaux entrepreneurs participent à des sessions de formation et recrutent des peintres. D'autres frais sont exigés pour du matériel de formation, ainsi que des paiements périodiques pour le reste de la facture de la franchise. Pour solliciter des clients, par du porte-à-porte, ils embauchent des jeunes qui recevront une commission sur les contrats potentiels trouvés ou demandent à leurs futurs peintres de le faire.

Printemps/Été

Début des travaux. Les clients paient le franchiseur, qui verse les salaires aux peintres, se garde des redevances (entre 24 et 31 % sur les premières tranches de revenus) et retient les sommes qui lui sont dues par le franchisé pour des services ou du matériel, avant de remettre ce qui reste au jeune entrepreneur.