Un groupe de Gaspésiens de la baie des Chaleurs vient de lancer une monnaie locale en... coupant en deux des billets de banque canadiens. Chaque partie de billet, qu'ils appellent «un demi», vaut la moitié de sa valeur initiale.

Les utilisateurs sont peu nombreux pour le moment, mais le mouvement prend graduellement de l'ampleur.

Encourager l'achat local

L'idée est venue à Martin Zibeau et Patrick Dubois, initiateurs d'une coopérative de solidarité à Carleton-sur-Mer, après leur rencontre avec un touriste français originaire de Nantes, où circule une monnaie locale. Ils ont trouvé que c'était une bonne façon de favoriser les achats locaux et ont commencé à se servir de «demis» il y a quatre mois.

«En coupant nos billets en deux, on sait que personne ne va les accepter ailleurs. Ils n'ont plus de valeur à l'extérieur du réseau, explique Michelle Secours, une commerçante de Caplan, qui accepte le demi dans son atelier-boutique de vêtements. On n'a donc pas le choix de les utiliser pour des achats auprès de marchands locaux.»

Utilisation restreinte

Selon Martin Zibeau, une trentaine de personnes se servent du demi pour le moment. Il dit connaître sept ou huit petits commerçants et artisans qui l'acceptent. Une dizaine de clients ont payé de cette façon pour acheter des produits nettoyants écologiques vendus par la coopérative.

«Dernièrement, j'ai acheté de l'ail à un maraîcher et j'ai payé une réparation chez le cordonnier avec des demis, dit-il. J'en avais entre les mains, à la suite d'achats faits par des clients. Ça m'a forcé à trouver des marchands locaux qui allaient les accepter. Plutôt que d'acheter à l'épicerie de l'ail venant de la Chine, j'ai acheté de l'ail qui pousse à côté de chez nous.»

Couper des dollars

«Lancer une nouvelle devise n'est pas simple, alors on a eu l'idée de simplement couper des billets existants», dit Martin Zibeau.

Germain Belzile, professeur d'économie à HEC Montréal, trouve l'idée intéressante. «L'un des problèmes avec les initiatives de monnaies locales, c'est le risque de contrefaçon, note-t-il. Mais couper des devises canadiennes, c'est plus sûr qu'une monnaie créée de toutes pièces.»

Pas illégal...

Contrairement à une idée largement répandue, il n'est pas illégal d'endommager la monnaie canadienne. «Aucune disposition n'est prévue dans la Loi sur les banques ni dans le Code criminel à propos de la mutilation des billets de banque, explique une porte-parole de la Banque du Canada, Josianne Ménard. Cependant, les inscriptions sur des billets de banque ou leur mutilation peuvent nuire à la vérification des éléments de sécurité des billets et réduire la durée de vie de ces derniers. Le marquage ou la mutilation des billets peut aussi les empêcher d'être acceptés pour des transactions.»

Tout au plus, on souligne qu'il est «inapproprié» de mutiler la monnaie, «un symbole national et une source de fierté pour tous les Canadiens et Canadiennes», dit Mme Ménard.

Martin Zibeau souligne que les transactions avec des demis ne sont pas faites «au noir». «Les achats payés de cette façon à la coopérative sont déclarés, les taxes et les impôts sont payés», dit-il.

... mais risqué

Officiellement, une moitié de 20$ ne vaut rien sans la deuxième moitié. Tant que les utilisateurs trouvent des gens prêts à accepter leurs demi-billets et à leur accorder une valeur de 10$, tout va bien. «Mais si les commerçants qui les acceptaient auparavant changent d'idée et les refusent, ils ne valent plus rien, souligne Alain Paquet, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. En altérant la monnaie, je risque de perdre mon 20$. Et il n'y a aucun recours le jour où plus personne ne l'accepte.»

«Le jour où ça fera patate, les gens pourront toujours se regrouper pour recoller les moitiés de billets», fait remarquer Germain Belzile. Mais il faudra alors le même numéro de série sur les deux parties.

Si le mouvement prend de l'ampleur, il pourrait être coûteux pour la Banque du Canada de remplacer les billets coupés, note aussi Alain Paquet.