Le «trio économique» de Philippe Couillard n'a pas tardé à montrer ses couleurs. Le nouveau gouvernement a déjà annoncé, jeudi, des compressions de 3,7 milliards. Carlos Leitao, Martin Coiteux et Jacques Daoust réussiront-ils là où le gouvernement Charest avait échoué avec son projet de restructuration de l'État?

«J'ai rarement vu une équipe économique aussi au centre droit que celle-là au cours des 20 ou 30 dernières années au Québec. Ça va être intéressant à regarder», affirme Clément Gignac, ministre du Développement économique sous Jean Charest, aujourd'hui économiste en chef à l'Industrielle Alliance.

Carlos Leitao : 58 ans, ministre des Finances

L'économiste d'origine portugaise est arrivé au Québec à l'âge de 19 ans avec sa famille, qui fuyait l'instabilité politique provoquée par la chute de la dictature salazariste. Il s'est intégré rapidement et a décroché un baccalauréat en sciences économiques de l'Université McGill avant de joindre les rangs de la Banque Royale à Montréal, puis à Toronto.

En 2003, Carlos Leitao est passé à la Banque Laurentienne, où il est devenu économiste en chef l'année suivante. C'est là qu'il s'est fait connaître du public, car les médias faisaient souvent appel à lui pour commenter les soubresauts des marchés.

«Un économiste est calme et rationnel de nature, mais lui, il l'est particulièrement. Il n'est pas du genre à adopter des points de vue à l'opposé du consensus juste pour attirer l'attention. Il dit les choses comme elles sont. Ce n'est pas un optimiste, ce n'est pas un pessimiste, c'est un réaliste», affirme l'économiste Sébastien Lavoie, qui a travaillé pendant plus de sept ans avec M. Leitao à la Banque Laurentienne.

L'homme n'est pas particulièrement engagé dans la communauté portugaise montréalaise, établie dans le sud-ouest du Plateau Mont-Royal, dit Tony Saragoça, collaborateur au journal A Voz de Portugal. Il a toutefois participé régulièrement à l'émission Portugalissimo, diffusée sur les ondes de la radio communautaire CFMB, pour discuter d'économie.

À l'instar de ses homologues des autres institutions financières, Carlos Leitao faisait preuve d'une grande neutralité dans les analyses qu'il rédigeait pour la Banque Laurentienne sans laisser transparaître ses opinions personnelles. Il a même eu de bons mots pour le dernier budget de Nicolas Marceau, déposé en février. Pendant la campagne électorale, il s'en est défendu en disant qu'il s'était prononcé à chaud sans avoir «toute l'information» sur l'état des finances publiques.

Avant sa nomination, certains trouvaient qu'il était peut-être trop «doux» pour occuper la fonction névralgique de grand argentier du Québec. Mais il n'a pas tardé à montrer du mordant: jeudi, il a déclaré qu'il fallait remettre en question la pertinence de «tous les programmes sociaux, tous les programmes de dépenses».

Martin Coiteux : 52 ans, président du Conseil du Trésor

Titulaire d'un baccalauréat de l'Université de Sherbrooke, d'une maîtrise de l'Université Queen's de Kingston et d'un doctorat de l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, Martin Coiteux a enseigné à HEC Montréal pendant 20 ans. En décembre 2012, il est devenu représentant principal à la Banque du Canada pour la région du Québec, ce qui a surpris Robert Gagné, un proche collègue à HEC. «C'est comme entrer dans les ordres», note-t-il.

Or, depuis quelques années, M. Coiteux donnait régulièrement son avis sur des questions économiques dans les médias, notamment à Radio X, à Québec, ce qui lui donnait une visibilité à laquelle il avait pris goût. Sa décision de se lancer en politique, «je pense que c'est un peu lié au fait qu'à la Banque du Canada il ne pouvait pas s'exprimer librement et que ça l'a fait souffrir plus qu'il ne l'avait prévu», dit M. Gagné.

Dans des textes publiés dans La Presse en 2012, Martin Coiteux s'est notamment demandé s'il ne fallait pas «faire table rase des programmes actuels» de subventions aux entreprises pour recommencer «avec une enveloppe réduite destinée uniquement à favoriser la croissance de la productivité». Il a aussi suggéré d'inscrire dans une loi des cibles précises de réduction de la dette à atteindre chaque année.

«C'est un fédéraliste assumé qui croit au marché», résume Robert Gagné.

«Martin incarne la discipline, soutient Clément Gignac. C'est un gars très déterminé. Qu'il y ait beaucoup de vagues sur la mer, ça ne le dérange pas trop. D'être impopulaire auprès de certains de ses collègues, ça ne l'empêchera pas de dormir. Il n'est pas insensible, mais il est capable de vivre avec ça quand il pense que c'est la bonne chose à faire.»

Jacques Daoust : 66 ans, ministre de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations

Après avoir travaillé comme cadre au ministère de la Défense nationale et chez SNC, Jacques Daoust a été recruté par la Banque Nationale en 1986, puis par la Banque Laurentienne en 1998. En 2006, Raymond Bachand l'a choisi pour diriger Investissement Québec (IQ). À titre de démarcheur en chef du gouvernement, il a parcouru le monde pour convaincre les entreprises étrangères de s'installer au Québec. L'an dernier, les péquistes lui ont montré la porte sans ménagement, de sorte que son retour comme ministre de tutelle d'IQ a toutes les allures d'une douce revanche.

«C'est certain qu'il a une personnalité forte et qu'il peut déplacer de l'air, admet M. Gignac, qui a travaillé avec lui. C'est quelqu'un qui aime que les choses se règlent vite. Mais en politique, ça ne va pas aussi vite que dans le privé. Il va falloir qu'il exerce sa patience, mais il en est capable.»

La priorité du nouveau ministre sera de faire le ménage dans les nombreuses annonces économiques qu'a faites le gouvernement de Pauline Marois dans les derniers mois. Le plus litigieux est l'investissement de l'État dans l'exploration pétrolière à l'île d'Anticosti, qui a reçu le feu vert moins d'une semaine avant le scrutin du 7 avril.

«S'il y a quelque chose qui est complètement attaché, qui est signé et déboursé, qu'est-ce que tu veux faire? T'as beau être en désaccord, tu vis avec», lance M. Daoust dans un entretien téléphonique avec La Presse.