«La vue qu'offre la cafétéria, c'est ce qui explique le coup de foudre que j'ai eu pour les lieux», raconte Richard Speer. Ils parlent tous de la vue. Celle sur le mont Royal et le Mile-End. Le président d'Attraction Média le premier. Pourtant, ses bureaux ne sont pas situés au sommet d'une prestigieuse tour du centre-ville.

Plus gros locateur du 5455, de Gaspé, Attraction occupe depuis août 2010 tout le 8e étage. Soit 43 000 pieds carrés investis par ses entreprises de production-membres comme Jet Films, La Cavalerie, Delphis Films, Cirrus Communications et Bubbles Télévision. En septembre, Attraction, née en 2002 et au chiffre d'affaires de 65 millions, selon Speer, a prévu une expansion de 7000 pieds carrés au 9e étage. «Je veux faire de la convergence créative», dit Richard Speer.

Autrefois dans un édifice de la rue Guy lui appartenant, Richard Speer loue maintenant des locaux à Allied Properties. Attraction a emménagé dans un quartier en transformation convoité par des créateurs qui bénéficient de loyers à prix modiques. Des édifices de catégorie C, selon la firme immobilière Altus, où le pied carré se loue à 13 $ et même moins.

On est loin de la catégorie A du centre-ville aux loyers trois fois plus chers. «Ce n'est pas un deuil de quitter le centre, affirme toutefois Richard Speer. Ça a été une valeur ajoutée de venir ici. Notre ancien quartier n'était pas en effervescence, alors que celui-ci est en ébullition. On aurait pu faire une meilleure affaire ailleurs. La présence d'Ubisoft a aidé à ma décision. Quelque chose s'opère en ce moment dans le quartier. Comparable à l'arrivée de Joe Beef sur Notre-Dame. Ou comme dans Griffintown. Ici, c'est Off-Broadway sans l'être trop.»

(sous-titre) Transports en commun

Les architectes paysagistes de Groupe Rousseau Lefebvre évoquent les mêmes arguments pour justifier leur arrivée dans le quartier. «L'important, c'était d'être près d'un métro, ajoute l'associé Michel Rousseau. La station Laurier est à 13 minutes de marche et la station Rosemont, à 10 minutes. On est une entreprise en développement durable. La plupart des employés se déplacent en transport en commun ou à vélo.»

En 2009, en compagnie de la firme Smith Vigeant Architectes, Groupe Rousseau Lefebvre s'est posé dans un espace de 3500 pieds carrés, au 6e étage du 5605, de Gaspé. «J'ai visité beaucoup d'endroits, raconte Michel Rousseau. C'est surtout ce coin qui nous attirait. Le loyer et sa durée (5 ans) étaient des facteurs incitatifs. Il y a de la place pour croître ici et on a le premier droit de regard pour un nouvel espace. Au centre-ville, c'est impossible pour une centaine de pieds carrés supplémentaires.»

Une promesse d'aménagement du lobby, souvent à l'abandon dans ce genre d'immeubles, a aussi motivé l'arrivée des architectes. «On s'est entendu avec le propriétaire (Le Carré de Gaspé) pour la rénovation des toilettes, des ascenseurs et de l'entrée, énumère Michel Rousseau. C'était important et ce fut fait dans les temps. Les fenêtres ont été changées avant notre arrivée. Les oiseaux se promenaient sur l'étage autrefois.»

Celui du 5455, de Gaspé, aussi refait totalement, annonce par ailleurs un changement de garde aux étages supérieurs. «L'arrivée d'Attraction a aidé beaucoup à la revitalisation, note Marie-Noëlle Hamelin, présidente de l'agence de relations publiques Bicom Communications. L'ancien propriétaire a rénové les ascenseurs, le rez-de-chaussée et changé l'enseigne extérieure. Un café a aussi ouvert ses portes. Depuis que l'entrée est rénovée, l'édifice paraît bien. Il y a quatre ans, on n'invitait pas de clients ici. C'était trop délabré et mon bureau était trop petit.»

Pour 1200 $ par mois, Bicom bénéficiait d'un espace de 3000 pieds carrés, chauffage inclus, en 2007! «Mais la deuxième année, le loyer d'un autre local de 1200 pieds carrés nous a coûté 1200 $ par mois, se rappelle Marie-Noëlle Hamelin. On ne peut rien dire. Aujourd'hui, l'édifice est très occupé (à 88% selon Devencore Newmark Knight Frank) et j'ai investi 25 000$ en rénovation sur trois ans. Mais je suis contente d'être ici, un lieu qui reflète le milieu dans lequel on oeuvre, avec des gens créatifs. Quatre ans plus tard, je suis contente que l'environnement soit devenu plus structuré.»

Aux dires des dirigeants interviewés, leur arrivée dans le Mile-End n'aurait pas d'incidence négative sur leur chiffre d'affaires ou sur l'image de leur entreprise. «Grandir passe par autre chose, souligne Daniel Smith, associé de Smith Vigeant Architectes. Notre chiffre d'affaires a augmenté, le nombre d'employés aussi, mais ce n'est pas attribuable à ça. Plutôt à cause du bouche à oreille.»

«Les gens se basent sur notre site web, dit Marie-Noëlle Hamelin. On a quand même comme clients Johnson & Johnson, Coca-Cola et Old Navy. La géographie n'a pas d'importance.»

Le bâtiment dans lequel ils se trouvent constitue même une carte de visite pour Rousseau Lefebvre et Smith Vigeant. «On n'est pas un bureau d'avocats, dit Michel Rousseau. On veut montrer ce qu'on est capable de faire à partir d'un espace brut. Au centre-ville, le niveau de finition est très élevé. Notre pari est que ça ait l'air industriel.»

Richard Speer ne pointe que la rareté des places de stationnement comme élément négatif de son déménagement. «Sinon, l'environnement est très stimulant, estime-t-il. J'habite l'île des Soeurs et il me faut quatre fois plus de temps pour venir au bureau. Mais même avec toutes les rénovations sur les routes, je n'ai jamais déchanté. Je songe plus à déménager pour me rapprocher de mon travail!»