À la veille d'une nouvelle ronde de réductions de dépenses à Québec, La Presse Affaires s'intéresse aux effets de la politique de compression de postes par attrition mise en oeuvre par le gouvernement provincial depuis près de six ans. À y regarder de près, les économies sont peut-être au rendez-vous, mais les citoyens en paient le prix.

À la longue et sans que ça ne fasse les manchettes, la politique gouvernementale du remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a un sérieux impact sur la qualité des services offerts par des organismes qui ont la responsabilité de faire appliquer la loi.

Des citoyens poireautent au téléphone, les rencontres de personne à personne sont découragées, des diminutions de postes d'enquêteur et des cibles de performance de l'organisation sont systématiquement ratées, au point où celle-ci finit par les modifier pour les rendre moins contraignantes.

La Presse Affaires a regardé plus en détail la situation de trois organismes qui donnent des services de première ligne à une clientèle souvent démunie: l'Office de la protection du consommateur (OPC), la Commission des normes du travail (CNT) et la Régie du logement. Voici ce qu'on a constaté.

On se presse moins au téléphone à l'Office de la protection du consommateur

L'OPC a-t-il encore les moyens de ses ambitions? Ce n'est pas d'hier que la question se pose. Un reportage de l'émission La facture, à la télé de Radio-Canada en février 2008, faisait le portrait d'un chien de garde rendu édenté après la réduction de son effectif de moitié au milieu des années 90 au nom de la lutte contre le déficit.

«Il faut absolument augmenter l'effectif de l'OPC pour qu'il puisse faire appliquer la Loi sur la protection du consommateur», dit Jacinthe Lauzon, porte-parole du groupe Option consommateurs, groupe de défense des droits des consommateurs, souvent en lien avec l'Office.

Malheureusement, la situation a continué de se détériorer avec les départs à la retraite, 13 postes supprimés en 5 ans, bien que les récentes réductions de personnel sont sans commune mesure avec les coupes des années 90.

N'empêche, le nombre d'enquêteurs est passé de 11 à 9, entre mars 2005 et mars 2010. Le nombre d'agents de protection du consommateur - le personnel chargé de répondre aux questions des gens au téléphone - a été réduit de 39 à 35. Au net, que se passe-t-il? Le nombre d'appels téléphoniques a chuté de 38% et le temps d'attente avant de parler à un agent de protection s'est allongé.

«Il y a des files d'attente beaucoup plus longues qu'auparavant», reconnaît Gilles Angers, secrétaire général de l'Office.

Moins d'un appel sur cinq est traité à l'intérieur de quatre minutes en 2009-2010. En 2007-2008, quatre appels sur dix étaient traités avant que l'attente ne dépasse trois minutes. Des données comparables plus anciennes ne sont pas disponibles, dit-on à l'OPC.

La diminution de l'effectif n'est pas le seul facteur expliquant le temps d'attente. L'OPC s'est doté d'un système téléphonique centralisé, ce qui a permis à l'Office de demander aux agents, notamment ceux situés en région, de délaisser le téléphone à l'occasion pour mener des activités de surveillance sur le terrain ou de formation dans les écoles. La durée moyenne d'un appel est passée de 3 à 10 minutes. Par ailleurs, l'usage de l'internet s'est répandu. Bien des consommateurs trouvent aujourd'hui réponse à leurs questions en naviguant sur le site de l'OPC plutôt que de lui téléphoner, ce qui peut expliquer la baisse du nombre d'appels.

Essoufflé, l'OPC a demandé au ministère de la Justice l'octroi de sept postes additionnels en 2010-2011. Il vient par ailleurs d'obtenir deux postes supplémentaires cette année pour gérer les effets de la nouvelle réglementation sur la certification des agents et des conseillers de voyage, en vigueur depuis le 30 juin.

Impossible de déposer une plainte en personne à la Commission des normes du travail

L'organisation de la Commission des normes du travail a été complètement chamboulée pour s'adapter aux nombreuses abolitions de postes. La CNT a pour mandat de faire connaître et de voir au respect des normes minimales du travail.

L'organisme n'est autorisé à remplacer que 4 départs sur 10. En cinq ans, son effectif a été réduit de 13%, passant 599 à 525 employés. Ce n'est pas fini, 59 personnes doivent partir à la retraite d'ici 2012, ce qui signifierait l'abolition de 35 postes additionnels.

Pour s'adapter à la baisse de son effectif, la CNT a développé ses services en ligne. Elle mise aussi davantage sur les activités de prévention et elle incite les parties à régler leur différend en médiation.

«On en voit des impacts sur le terrain, assure Carole Henry, responsable des dossiers politiques pour le groupe communautaire Au bas de l'échelle, qui vient en aide aux travailleurs non syndiqués. La façon que la Commission a de résoudre la baisse de l'effectif, c'est l'internet.»

«Mais l'internet, quand on vit un problème avec son employeur, par exemple, de harcèlement psychologique, je ne suis pas certaine que c'est très encourageant pour porter plainte», fait-elle remarquer.

Avant, quand un travailleur voulait déposer une plainte, il pouvait se rendre sur place à un des 14 bureaux de la CNT disséminés sur le territoire et rencontrer quelqu'un, qui lui expliquait le recours approprié en fonction de la plainte.

Les 14 bureaux régionaux sont restés ouverts. Ils offrent un service d'enquête et de médiation, mais ils ne reçoivent plus les plaintes. Ce sont les cinq nouveaux guichets régionaux qui s'occupent de ça maintenant, uniquement au téléphone et par l'internet.

Autre preuve des changements organisationnels qui ont cours au sein de la CNT, le nombre d'enquêteurs-inspecteurs a radicalement baissé, passant de 203 à 131 en 5 ans. Andrée Lebrun, directrice des communications, souligne qu'un certain nombre d'enquêteurs sont devenus des médiateurs et des chefs d'équipe en prévention.