Au Brésil, des patrons d'entreprise impliqués dans un énorme scandale de corruption ont été trahis par leurs téléphones BlackBerry, conçus par la célèbre entreprise ontarienne qui se targue d'offrir un service de messagerie ultrasécurisé. Leurs avocats contre-attaquent en appelant à la barre des témoins le PDG de BlackBerry... et le ministre de la Justice du Canada. Explications en cinq temps.

OPÉRATION LAVA JATO

C'est le plus gros scandale de corruption de l'histoire du Brésil. Des dizaines de patrons d'entreprises de construction auraient versé des pots-de-vin aux dirigeants du géant pétrolier Petrobras pour obtenir des contrats publics gonflés. Un cartel qui aurait coûté pas moins de 2 milliards de dollars à cette société d'État. Arrêté dans le cadre de l'Opération Lava Jato (lave-auto), Marcelo Odebrecht fait partie de ces entrepreneurs accusés de corruption et de blanchiment d'argent. Mardi, son avocat a présenté au tribunal une liste des 34 témoins qu'il souhaite entendre pour sa défense. Parmi eux, John Chen, PDG de BlackBerry, et nul autre que Peter MacKay, ministre de la Justice du Canada.

TRAHIS PAR LEURS BLACKBERRY

Le succès de l'Opération Lava Jato repose en partie sur des milliers de messages instantanés que les accusés se sont échangés par l'entremise du service de messagerie BlackBerry Messenger (BBM). Ces messages cryptés, réputés inviolables, se sont manifestement retrouvés entre les mains des enquêteurs brésiliens grâce à la coopération de BlackBerry. Or, selon l'avocat de M. Odebrecht, les autorités brésiliennes auraient dû faire une requête auprès d'Ottawa afin d'obtenir les données de BlackBerry, en vertu d'une entente bilatérale entre les deux pays. Dans l'espoir de prouver son argument - et de faire invalider la preuve - , la défense souhaite donc convoquer John Chen et Peter MacKay à la barre des témoins.

UNE REQUÊTE « NI APPROPRIÉE NI PERTINENTE »

Peter MacKay et John Chen n'auront sans doute pas à boucler leurs valises de sitôt. En janvier, le juge Sério Moro a catégoriquement rejeté une requête semblable, déposée par les avocats d'autres entrepreneurs en construction accusés de corruption. L'audition du ministre MacKay n'a semblé « ni appropriée ni pertinente » au magistrat dans le cadre du jugement de cette affaire. Au contraire, a ajouté le juge Moro, convoquer le ministre de la Justice d'un autre pays causerait même « de l'embarras pour l'image de la justice brésilienne, par l'extravagance de la démarche ». Jusqu'ici, personne n'a d'ailleurs communiqué avec M. MacKay au sujet de cette affaire, assure-t-on au cabinet du ministre.

EMBARRAS POUR BLACKBERRY

Cette affaire est délicate pour BlackBerry, une entreprise malmenée par la concurrence qui mise justement sur la confidentialité de ses services pour se refaire une santé financière. L'an dernier, l'entreprise ontarienne a d'ailleurs lancé un service de messagerie à la sécurité renforcée, BBM Protected, destiné aux banquiers et aux gens d'affaires. BlackBerry a refusé hier de commenter son rôle - crucial - dans l'Opération Lava Jato et a référé La Presse à son site internet, où elle admet devoir répondre, de temps à autre, à des demandes de la part des autorités judiciaires nationales et internationales. « Nous trouvons un juste équilibre entre ces demandes et notre priorité de maintenir les droits de confidentialité de nos utilisateurs. »

L'OUTIL PRÉFÉRÉ DES BRIGANDS

Aux quatre coins du monde, le BlackBerry est devenu l'outil de communication privilégié des criminels en tout genre. « Il y a des faits prouvant que les malfaiteurs utilisent désormais les BBM pour organiser et commettre leurs crimes », s'est lamenté un ministre sud-africain en 2011. Il est vrai que le cryptage des BBM complique singulièrement la tâche des policiers. Mais ces messages ne s'évaporent pas dans la nature ; ils sont stockés sur les serveurs canadiens de BlackBerry, qui se voit parfois dans l'obligation légale de les remettre aux autorités. Ainsi, ce sont les multiples BBM envoyés par le caïd Raynald Desjardins qui l'ont récemment poussé à plaider coupable à des accusations de complot pour meurtre. Et l'an dernier, la Gendarmerie royale du Canada a écroué pas moins de 32 mafiosi montréalais, tous piégés par des BBM qu'ils croyaient sûrs.

PHOTO BRENDAN McDERMID, ARCHIVES REUTERS

Le PDG de BlackBerry, John Chen