Affublée du sceau repoussant de «PIGS» réservé aux paumés de l'Europe, l'Espagne retrouve son attrait peu à peu. Assez pour attirer des milliards d'investissements étrangers qui en font une machine à exporter.

Meubles, aliments, pièces d'automobiles, céramique, cosmétique, électronique... Tous ces secteurs d'activité en Espagne ont un dénominateur commun: des exportations records depuis un an.

Des entreprises nationales comme Freixenet (vins mousseux) et Sastrería Cornejo (textile) participent à cette fiesta sur les marchés extérieurs. Et des multinationales, dont Volkswagen et Ford, augmentent leur production dans ce pays.

L'Espagne va mieux. Beaucoup de gens d'affaires à l'étranger s'en réjouissent et pour une bonne raison: ils viennent de miser des milliards sur la renaissance espagnole. Les investissements directs étrangers (IDE) au pays, qui proviennent de France, d'Allemagne mais aussi des États-Unis et d'Asie, ont en effet bondi de 40% l'an dernier à 30 milliards d'euros (45 milliardsCAN), a révélé une étude des Nations unies la semaine dernière.

L'allemand Bayer AG a injecté 6 milliards d'euros pour accroître sa production d'Aspirin dans ses cinq usines espagnoles. Dans l'automobile, General Motors et Renault ont aussi fait des investissements majeurs en 2013. Même Bill Gates vient d'investir dans l'immobilier espagnol.

Et ça continue: le britannique Vodafone Plc a annoncé la semaine dernière l'achat de la société de télécommunications Grupo Corporativo Ono SA. Un énorme pari de 7,2 milliards d'euros.

Nouvellement attractive, l'Espagne est maintenant la destination européenne la plus courue des investisseurs étrangers, après l'Irlande.

Avec le tourisme, l'exportation est maintenant le nouveau moteur de l'économie espagnole: l'an dernier, les ventes hors du pays ont atteint 234 milliards d'euros (contre 226 milliards en 2012), soit 34% de l'économie. Assez pour en faire le pays européen le plus tourné vers l'étranger après l'Allemagne (42% du PIB).

Et pour la première fois depuis 1986, la balance courante de l'Espagne - solde de tous les échanges internationaux (biens, services et revenus) - a été excédentaire en 2013 (à 7,1 milliards d'euros), a-t-on appris jeudi.

Jamais, depuis que le pays est entré dans l'Union européenne, Madrid n'avait été capable de se financer seul. Comme il a été dépendant durant presque 30 ans des emprunts à l'étranger, sa dette n'avait cessé d'augmenter jusque-là.

L'exploit reçoit les applaudissements des milieux financiers. «L'Espagne devient un exemple pour ses voisins», affirme la banque Barclays dans une note économique.

Salaires moindres, productivité accrue

Évidemment, ce pays qui a sombré dans une grave récession après l'effondrement de son secteur immobilier en 2009, demeure l'un des éclopés de l'Europe - les tristement nommés «PIGS» (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne).

Malgré une légère diminution en février, le chômage espagnol affiche toujours un taux accablant de 26% et la sortie de récession, en 2013, est encore timide.

Signe que les choses s'améliorent cependant, l'agence Moody's a récemment relevé la note de solvabilité du pays d'un cran, à Baa2. Un coup de chapeau qui permet au gouvernement d'emprunter à des taux d'intérêt historiquement bas et de limiter le coût de l'endettement.

«Nous avons passé le cap Horn», clamait le président Mariano Rajoy il y a quelques jours - avec une timide croissance économique prévue à 1% en 2014.

Un goût amer

Reste que la recette Rajoy, qui attire les capitaux étrangers, laisse un goût amer dans la bouche des Espagnols, car l'un de ses principaux ingrédients est une baisse de salaire.

De 2008 à 2013, le revenu moyen des ménages a fondu de 10% environ. Avec la réforme du marché du travail orchestrée par le gouvernement, les salaires ont baissé, les heures de travail s'allongent, les primes et avantages sociaux s'effritent... bref, de gros sacrifices ont été consentis pour accroître la productivité espagnole et susciter des investissements.

L'Espagne demeure aussi vulnérable sur le plan financier, sa dette (publique et privée) vis-à-vis du reste du monde étant encore élevée. Elle équivaut à 1000 milliards d'euros, soit 100% du PIB. C'est la quatrième dette de la zone euro après la Grèce, l'Irlande et le Portugal, souligne l'Institut valencien de recherche économique.

Les investisseurs restent néanmoins convaincus que Madrid est sur la bonne voie. À preuve: outre les IDE, la Bourse de Madrid (indice Ibex) affiche aussi un solide gain (+ 19%) depuis un an. «La confiance renaît, affirme Maria Jesus Fernandez Sanchez, analyste pour la Fondation des caisses d'épargne d'Espagne (Funcas). La baisse des coûts de main-d'oeuvre rehausse la productivité par rapport aux autres pays européens.»

Les Espagnols, eux, devront être patients. Car l'embellie financière prendra du temps avant d'être ressentie par les ménages, disent les experts.

Économiste à la Banque BNP, Victor Echevarria croit que «la qualité» et la «technologie» - plutôt que les bas salaires - seront essentielles à l'avenir pour soutenir la croissance. «La route est encore longue», résume-t-il.