Officiellement, la guerre des monnaies n'existe pas, sinon dans une formule-choc lancée il y a trois ans par le ministre brésilien des Finances. Il déplorait alors que la rapide appréciation du real causée par l'afflux de capitaux étrangers spéculatifs défavorisait les exportateurs de la puissance émergente.

Si elle n'existe pas, on se demande alors pourquoi les ministres des Finances du G7 planchent actuellement sur un communiqué qu'ils souhaitent publier d'ici jeudi. Ils y affirmeraient, selon le Wall Street Journal, que les gouvernements ne conçoivent pas leurs politiques monétaire et fiscale en vue d'orienter le taux de change de leur monnaie.

Jeudi n'est pas une échéance innocente. Le lendemain s'ouvre en Russie un sommet des ministres des Finances du G20 où sera sûrement soulevée la question des dévaluations compétitives, pour reprendre le jargon de la rectitude économique.

Depuis l'élection, fin décembre, du gouvernement dirigé par Shinzo Abe, Tokyo ne fait pas mystère que la Banque du Japon doive viser une cible d'inflation de 2% alors que le gouvernement cherchera à stimuler la Bourse nipponne.

La poursuite de ces deux objectifs signifie imprimer des yens, des milliards de yens, de manière à en faire baisser le cours contre le dollar américain et stimuler les exportations de l'empire du Soleil-Levant qui affiche désormais un déficit commercial.

Jusqu'ici, ça semble réussir: de 90 yens pour un billet vert, le taux de change était passé à plus de 93 yens hier.

Depuis 2011, la Banque Nationale de Suisse défend le cours de sa devise à 1,20 franc pour 1 euro. Elle le fait en multipliant les achats d'obligations libellées en euros et dans d'autres monnaies comme le dollar canadien. Au coeur de la crise de la dette souveraine européenne, les spéculateurs avaient poussé le franc suisse tout près de la parité avec l'euro, une catastrophe pour les exportateurs helvètes.

La guerre des devises est un jeu dangereux. Il fait des gagnants à court terme, ceux qui sont les premiers à dévaluer. À moyen terme, il peut conduire les perdants à adopter des mesures protectionnistes, néfastes pour tous.

Dévaluation et protectionnisme ne forment pas cependant les deux faces d'une même pièce. En période de faible croissance économique ou d'austérité budgétaire, la dévaluation a l'avantage d'injecter des liquidités dans l'économie, ce qui est de nature à la stimuler. Voilà pourquoi la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque d'Angleterre activent leurs planches à billets avec peut-être, pour la Fed du moins, des succès économiques plus grands que ceux de la Banque centrale européenne qui paraît obsédée par le contrôle de l'inflation.

Le protectionnisme ne stimule pas l'économie. Il peut même conduire à des pertes de productivité et à la montée du chômage, surtout parmi les économies dites avancées. En revanche, il est justifié dans une certaine mesure pour des économies émergentes dont les fleurons industriels de demain sont encore fragiles. Voilà qui peut expliquer la fermeture relative de certains marchés comme ceux de la Chine ou de l'Inde.

Selon Laurent Desbois, président de Fjord Capital, l'expérience des années 30 montre que les instigateurs de dévaluations compétitives ont vu augmenter leur production industrielle dans les mois qui ont suivi leur action unilatérale.

En 2013, on assiste à une situation semblable: il n'y a plus de puissance nettement dominante, les États-Unis étant en déclin et la Chine encore incapable de prendre le relais dans un contexte de faiblesse de la demande mondiale. Voilà pourquoi «la devise est redevenue un champ de bataille», estime M. Desbois, malgré le démenti de façade à venir du G7.

Qui va gagner? Entre la Chine et les États-Unis, ces derniers semblent mieux parés pour une guerre d'usure: ils ne font pas face à des pressions inflationnistes dans des secteurs vitaux comme le logement ou les aliments.

Et le Canada dans tout ça? Jusqu'ici, il refuse de participer aux hostilités, misant sur la relance économique de son grand voisin. Notre monnaie est surévaluée en raison de son attrait chez plusieurs investisseurs institutionnels. Lorsqu'ils seront convaincus que notre économie bat de l'aile, ils plieront bagage et le huard faiblira de lui-même.