Terry Leon n'est pas du genre à s'esclaffer devant un inconnu venu l'entendre parler de ses affaires. En tout cas, ce n'est pas l'impression qu'il donne. Mais quand on lui demande s'il a récemment rappelé ses banquiers pour leur donner une petite leçon intitulée «Dette 101», il y va d'un rire franc.

«Il y a environ trois ans, quand les affaires boumaient, toutes les grandes banques sont venues nous voir et nous ont dit qu'on avait beaucoup trop de liquidités, qu'on devrait emprunter davantage, vendre nos biens immobiliers et distribuer les profits... Il y a beaucoup de choses qu'ils nous ont dit de faire et on leur a répondu: Non, ce n'est pas notre modèle d'affaires.»

 

Avec le crédit qui s'est tari, M. Leon est plutôt content d'avoir gardé ses billes pour lui. «Vous savez, on ne pense pas seulement au lendemain ou au surlendemain. On pense 10 ans ou 15 ans en avance. Ça veut dire qu'on ne peut pas prendre autant de la tarte quand les affaires vont bien, mais ça veut aussi dire que, quand les choses vont mal, on a encore une partie de la tarte!»

Un pactole de 140 millions

Assis dans un sofa brun, dans la salle d'exposition de son magasin d'Anjou, Terry Leon parle de la confiance qui l'anime en ces temps de récession. Une confiance alimentée par le fait que l'entreprise est assise sur un pactole de quelque 140 millions.

Avez-vous déjà eu une dette? «Je pense que la dernière hypothèque qu'on a eue sur un édifice remonte à 1983 ou 1984», dit-il, entre deux bouchées des crêpes aux fruits qui lui serviront de repas du midi.

Car Terry Leon a une journée, voire une année, pas mal chargée. Ces mois-ci, il fait le tour des 64 magasins Léon, de Terre-Neuve à l'Alberta, pour souligner le centenaire de l'entreprise.

A. Leon Co. Limited a vu le jour à Welland, dans la région du Niagara ontarien, en 1909. Ablan Leon, arrivé du Liban sans le sou, se lance dans la vente itinérante de vêtements. Avec ses économies, il achète un entrepôt.

Un beau matin, papa Leon décide d'offrir un matelas à un de ses fils en cadeau de noces. Le matelas repose sur le trottoir quand un passant lui offre un bon prix pour le racheter. Ablan s'aperçoit alors que les marges sur les meubles peuvent être beaucoup plus grandes que sur les fringues.

Déjà à l'époque, mademoiselle Marjorie, une des filles d'Ablan, était la gardienne de la prudence financière de son père, selon l'histoire officielle de l'entreprise. La Marjorie, elle était proche de sa sacoche!

Cela n'empêche pas Terry Leon de parcourir le pays cette année et d'offrir 300 dollars à chacun des 3700 employés de l'entreprise, un mélange d'argent comptant et de bons d'achat. Coût de l'opération: plus d'un million de dollars. Un autre million va à des organismes communautaires. Le gâteau d'anniversaire, ça se partage.

La récession, une occasion

Un million par-ci, un autre million par-là... Terry Leon ne vit pourtant pas dans un monde isolé, à l'abri de la récession. En 2008, les ventes de Meubles Léon ont atteint le niveau record de 950 millions. Mais le dernier trimestre a vu les ventes des «magasins corporatifs» ouverts depuis au moins un an décliner de 1,7%.

«Je pense qu'on va voir ça pour la plupart des gens: le premier trimestre va être difficile, comme le deuxième. J'espère que le premier trimestre sera le pire pour la majorité du pays. Le deuxième pourrait être un peu mieux, suivi d'une amélioration le reste de l'année.»

C'est en Ontario que les ventes de Léon ont été les plus touchées, puis dans l'Ouest. Le Québec et les Maritimes ont mieux résisté, explique-t-il.

Historiquement, Léon a avant tout crû à l'interne, en ouvrant de nouveaux magasins. L'exception de taille est venue en janvier 2008, avec l'acquisition d'Appliance Canada, distributeur d'électroménagers en gros. «Je pense que ça nous a donné confiance que l'on pouvait faire d'autres acquisitions», dit le président et chef de la direction.

Pas de cible précise en tête, dit-il, mais un calendrier. «Il y aura des possibilités, probablement entre la mi-2009 et la mi-2010.»

Léon pourrait profiter du ralentissement actuel pour ouvrir d'autres magasins, mais aussi faire quelque chose de nouveau: louer des locaux commerciaux à des prix moins élevés.

Jusqu'à maintenant, les descendants de mademoiselle Marjorie trouvaient plus rentable la construction que la location. «L'avantage de la location, c'est qu'on peut croître plus rapidement. On n'a pas à attendre un an ou 18 mois pour construire la bâtisse.»

Ah oui! j'oubliais: les avez-vous rappelés, finalement, vos banquiers? «Non, répond Terry Leon. Mais ils comprendraient probablement mieux notre position aujourd'hui.»

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Des débuts à 7 ans 

Terry Leon a fait ses premiers pas dans les magasins dirigés par son père comme plieur de circulaires à l'âge de 7 ans. Puis, il s'est mis à vendre du mobilier à l'âge de 10 ans avec ses cousins. «Le prix était tellement bon que ça se vendait tout seul. Mais on pensait que c'était nous qui les vendions!»

Ont suivi le travail dans l'entrepôt, puis celui à bord du camion de livraison. «Je peux encore me rappeler le premier frigo que j'ai livré au quatrième étage d'un édifice de Welland. Il y a des choses qui ne s'oublient pas...»

Inscrite à la Bourse de Toronto depuis 1969, l'entreprise est le lieu de travail de 12 membres de la famille, qui en est encore l'actionnaire principal.

Et comment fait-on pour assurer la survie d'une entreprise, jusqu'à la troisième génération? «Je pense que la recette, c'est que notre grand-père et nos pères nous ont appris que la compagnie, c'est la priorité. Et on respecte cela.»