Au milieu d'une grande terre brunâtre, un tracteur avance sur le sol mouvant et gobe une partie d'un grand monticule de tourbe pour charger un camion-remorque. Ce qu'on récolte ici, à la Tourbière Saint-Laurent, c'est la matière première à la base de la création et de l'évolution de Premier Tech, multinationale de Rivière-du-Loup qui génère des revenus de plus de 400 millions par année.

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À cause des trop fortes précipitations, la récolte de tourbe a été exceptionnellement mauvaise l'été dernier dans l'est du pays. «La pire année depuis 1986», avance le président de Premier Tech, Jean Bélanger.

Le patron ne s'en fait pas outre mesure. La société a un inventaire stratégique qui lui permet de compenser les manques, et les autres tourbières de Premier Tech dans l'ouest du pays sont en mesure d'atténuer les effets de l'été pluvieux. Et si la récolte de tourbe a été mauvaise, la récolte d'acquisitions de Premier Tech a été foisonnante dans les deux dernières années.

Blitz d'acquisitions

Premier Tech a mis la main sur 10 entreprises d'ici et d'ailleurs dans ses trois secteurs d'activité: les produits horticoles, le traitement des eaux et l'équipement industriel d'emballage.

En 2011, son chiffre d'affaires est passé de 262 à 408 millions. Depuis 2009, le bénéfice avant impôts, intérêts et amortissement a triplé, passant de 16,4 à 49,3 millions.

Premier Tech compte aujourd'hui 2300 employés dans le monde, dont 800 à Rivière-du-Loup, et exploite des usines au Canada, en Europe, en Chine, en Thaïlande et au Sri Lanka.

Premier Tech, qui s'est retirée de la Bourse en 2007 au même moment où la famille Bélanger rachetait les parts du Fonds de solidarité FTQ dans l'entreprise, n'a pas toujours été si gourmande sur le marché des acquisitions. Quand les premiers signes de la récession de 2008 se sont pointé le nez, la direction de Premier Tech a pressenti que des occasions se présenteraient.

«Auparavant, nous étions en mode plus passif et on attendait d'entendre parler d'une entreprise à vendre pour réagir, raconte Jean Bélanger, qui nous accorde une entrevue dans l'édifice administratif d'un campus qui en compte une vingtaine, à Rivière-du-Loup. À partir de ce moment, nous sommes passés en mode proactif.»

Premier Tech s'est bâti une «petite caisse» de quelques dizaines de millions de dollars pour partir à la chasse. «Nous avons visité des compétiteurs et d'autres sociétés qu'on visait, nous avons discuté avec eux des possibilités d'alliances et d'acquisitions, relate le président. C'est ce qui a mené à cette poussée du nombre de transactions. Aujourd'hui, nous avons renfloué la caisse et nous continuons notre démarchage.»

Parmi toutes les acquisitions de Premier Tech, la plus importante est celle de Sure-Gro, fabricant de produits horticoles destinés aux consommateurs (marque C-I-L). Cette acquisition, en avril 2010, a permis d'ajouter 100 millions en revenus au bilan de Premier Tech, tout en augmentant à 50% la part des produits horticoles dans le chiffre d'affaires de l'entreprise.

Acheter sans tout risquer

L'entreprise louperivoise aurait pu ajouter une autre bonne prise à son tableau de chasse au tournant de 2011. À la dernière seconde, elle a abdiqué dans sa tentative d'acheter Sun-Gro, son plus important compétiteur dans le secteur de la tourbe, duquel elle détenait déjà 25% des actions.

«On travaillait à cette acquisition depuis quatre ans en accumulant des actions, rappelle Jean Bélanger. On a monté notre financement. On avait sécurisé les fonds pour faire une offre et on était convaincu qu'elle serait acceptée.»

Mais parmi tous les critères de Premier Tech pour aller de l'avant avec une acquisition, il y en a un qui est fondamental: l'acquisition ne doit pas placer le reste de l'entreprise à risque.

«Or, 48 heures avant de déposer notre offre, un des partenaires du financement a mis une petite clause, explique Jean Bélanger. Si Sun-Gro n'allait pas bien, cela mettait automatiquement Premier Tech en situation de défaut. C'était une transaction d'au-dessus de 250 millions, mais est-ce qu'on était prêt à tout miser sur une seule transaction et mettre à risque ce qu'on bâtissait depuis 90 ans? Nous avons dit non.»