« Monsanto savait » que le Roundup était cancérigène, a asséné mardi l'avocate d'un retraité américain au dernier jour d'un procès sur le désherbant au glyphosate, que son fabricant défend ardemment quitte à accuser ses détracteurs de complotisme.

« Depuis 40 ans, cette entreprise a manipulé la science, manipulé l'opinion publique », a lancé Jennifer Moore.

Malgré toutes les études scientifiques, « ils ont continué à vendre le Roundup et à gagner de l'argent avec, parce que c'est le but ultime de Monsanto », racheté l'an dernier par l'allemand Bayer, a encore dit l'avocate d'Edwin Hardeman, 70 ans, qui affirme que son lymphome non-hodgkinien est dû au produit qu'il a utilisé pendant 25 ans.

« Rien n'a arrêté cette entreprise [...]. Votre tâche est de dire "stop, ça s'arrête aujourd'hui" », a-t-elle dit aux jurés, leur enjoignant d'envoyer « un message fort et clair » au groupe qui a agi « avec malveillance » et de façon « méprisable ».

Le jury, qui avait jugé la semaine dernière que le Roundup avait contribué au cancer de M. Hardeman, a débuté ses délibérations en milieu de journée.  

À l'issue de cette deuxième phase du procès, ils doivent décider si Monsanto est responsable de la maladie de M. Hardeman : connaissait-il ou aurait-il dû connaître les risques ? Aurait-il dû placer un avertissement sanitaire sur les bidons de désherbant ?

« Complot »

Non, a répondu son principal avocat Brian Stekloff, combattant pied à pied les accusations.

Les avocats du plaignant vous demandent « de croire que ces employés de Monsanto (qui ont témoigné au procès) se lèvent le matin, prennent leur petit-déjeuner en famille, prennent leur voiture pour aller travailler chez Monsanto tous les jours et disent "vous savez quoi ? On va monter un complot pour provoquer des cancers" », a-t-il lancé aux jurés.

Monsanto a « agi de manière raisonnable, en se fondant pour la science », et a « mené de très nombreux tests » sur le glyphosate, le Roundup et ses adjuvants, a-t-il ajouté, réfutant toute responsabilité.

Énumérant études et tests menés par la firme, il a nié le fait que Monsanto ait « ignoré » volontairement certains résultats, « caché » des études au régulateur ou « manipulé » la science en rédigeant dans l'ombre des articles scientifiques, autant d'allégations apparues plusieurs fois pendant le procès.  

Entre sa mise sur le marché au milieu des années 1970 et 2012, date à laquelle Edwin Hardeman a cessé de l'utiliser, « aucun régulateur dans le monde, aucune organisation de santé » n'a jugé le Roundup cancérigène ni exigé un avertissement sur l'étiquette, a-t-il ajouté.

Le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé en 2015 le glyphosate comme « cancérigène probable ». Mais pas l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ni l'Agence de protection de l'environnement américaine (EPA).

L'enjeu est énorme pour Bayer, qui pourrait avoir à payer de gros dommages destinés à « compenser » le préjudice subi par le plaignant, mais aussi à « punir » le groupe, selon les termes juridiques américains.

Et au-delà de ce procès, Bayer fait face à quelque 11 200 procédures similaires rien qu'aux États-Unis.

Ce dossier « va encourager » d'autres « plaignants potentiels à entamer des poursuites », explique à l'AFP Carl Tobias, professeur de droit à l'Université de Richmond.

Et si Bayer perd ce procès et plusieurs autres, « il lui faudra sérieusement réfléchir à un accord » amiable hors tribunaux pour solder les poursuites, ajoute-t-il, ce qui pourrait lui coûter des milliards de dollars.

Comme le plaignant a remporté la première phase des débats, pourtant censée être la plus difficile pour lui, « on peut supposer [...] qu'une décision en faveur du plaignant est plus probable » que l'inverse à l'issue de la totalité du procès, estime pour sa part auprès de l'AFP Bob King, avocat de la firme Korein Tillery, qui défend régulièrement des personnes exposées à des produits chimiques.  

Un deuxième échec serait un coup d'autant plus dur pour Bayer que lors d'un premier procès en août, il avait été condamné à verser 289 millions de dollars à un jardinier malade d'un cancer en phase terminale, une somme ensuite réduite par une juge à 78,5 millions de dollars.

Bayer a fait appel de ce jugement.