La victoire surprise de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine va créer un bras de fer entre le nouveau président républicain et la Réserve fédérale américaine (Fed) qu'il a accusée pendant la campagne de faire le jeu des démocrates.

«Nous avons une grosse, sale bulle financière (...). La Fed fait de la politique. Cette Janet Yellen de la Fed...!» C'est en ces termes vindicatifs que Donald Trump, lors du premier débat de la campagne présidentielle, avait stigmatisé la Réserve fédérale et sa présidente, une démocrate.

Il reprochait à la banque centrale d'avoir à la fois maintenu les taux directeurs bas trop longtemps faisant, selon lui, le jeu du camp démocrate avant les élections, mais aussi de vouloir les relever bientôt. «Croyez-moi, le jour où Obama s'en va (...) jouer au golf pour le reste de sa vie, quand ils vont relever les taux directeurs, vous allez voir arriver des choses épouvantables», a-t-il promis.

Ce ton a fait craindre le pire aux analystes, dont certains, comme Paul Ashworth de Capital Economics, prévoyaient à la veille des élections «la démission quasi-immédiate» de Mme Yellen en cas de victoire républicaine.

La Fed, qui a maintenu ses taux inchangés le 2 novembre pour éviter notamment des secousses financières avant le scrutin, a laissé entendre à plusieurs reprises qu'une modeste hausse du coût du crédit était pour bientôt.

Prévisions ébranlées

Avant l'élection, les marchés tablaient à 80% sur un tour de vis monétaire lors de la prochaine réunion du Comité monétaire les 13 et 14 décembre. Mais, même si la Fed est réputée garder son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, le triomphe du candidat populiste au style interventionniste ébranle ces prévisions des marchés.

«Cela réduit les chances d'une hausse des taux», a assuré mercredi à l'AFP Simon Johnson, professeur d'économie au Massachusetts Institute of Technology.

Pour Ian Shepherdson, de Pantheon Macroeconomics, «les chances d'un relèvement des taux en décembre ne sont probablement plus que d'une sur trois».

Mais face aux fondamentaux de l'économie qui montrent une lente remontée des salaires et des prix avec un risque de surchauffe, d'autres, comme David Kotok, président du gestionnaire de portefeuille Cumberland Advisors, affirment que la Fed va s'en tenir à son plan et resserrer les taux dans six semaines.

D'autant plus que le programme économique du candidat Trump - qui table sur des réductions d'impôts massives, des dépenses d'infrastructures et un creusement du déficit budgétaire - aura plutôt tendance à créer de l'inflation. «Un important stimulus budgétaire va accélérer ces effets» de hausses des prix et «une Fed à la vision prospective devrait envisager un relèvement des taux», a commenté mercredi pour l'AFP Tim Duy, professeur d'économie à l'Université d'Oregon.

Relance budgétaire et inflation

Beaucoup ont noté cependant le ton conciliant du discours de victoire du candidat républicain mercredi. La Bourse a bien accueilli cette modération et contrairement aux attentes, Wall Street ne cédait pas à la panique mercredi.

«Sera-t-il un démagogue ou un homme d'État?», s'interrogeait Paul Ashworth, ajoutant que les milieux économiques attendaient avec impatience de connaître, d'ici l'investiture du 20 janvier, les premiers noms pour les postes-clés de son administration.

Au-delà du caractère imprévisible et impétueux du président élu, c'est plutôt le renforcement de la majorité républicaine au Congrès qui va peser sur les relations avec la banque centrale.

«Les républicains au Congrès sont depuis longtemps (...) en faveur d'un plus grand contrôle politique de la Fed», a averti Simon Johnson alors que plusieurs projets de loi existent déjà pour rendre la banque centrale plus transparente et lui imposer des règles de politique monétaire. «Je pense que M. Trump va vouloir aussi faire cela», ajoute ce professeur d'économie.

Quant au sort de Janet Yellen, peu d'économistes croyaient mercredi à une démission immédiate, mais autant doutaient qu'elle puisse être prolongée à la fin de son premier mandat en janvier 2018. «Je doute qu'elle démissionne. Il pourra la remplacer dans un an», a affirmé à l'AFP Joseph Gagnon, ancien économiste de la Fed, actuellement au Peterson Institute for International Economics (PIIE).

Donald Trump aura aussi l'occasion de nommer deux gouverneurs au directoire de la banque centrale pour remplir les postes vacants de ces participants à la politique monétaire que le président Obama n'a pas pourvu depuis deux ans, doutant de pouvoir faire confirmer ses choix par le Congrès.