L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) estime que l'exploitation du pétrole de l'île d'Anticosti ne serait pas une bonne affaire pour les Québécois. Dans une note économique obtenue par La Presse et qui sera rendue publique aujourd'hui, l'IRIS soutient que le projet n'est pas rentable et risquerait de freiner la réduction des gaz à effet de serre.

L'IRIS, qui est reconnu comme un groupe de chercheurs de gauche, a produit cette analyse alors qu'est attendue au cours des prochains mois la publication des résultats de différentes études commandées par le gouvernement du Québec, qui se montre favorable au dossier. Une de ces études est une évaluation environnementale stratégique (ESS) dont un volet est consacré à la vérification du potentiel économique d'une éventuelle exploitation du pétrole de schiste de l'île d'Anticosti.

Le chercheur Bertrand Schepper, qui signe l'analyse de l'IRIS, propose donc une perspective marquée notamment par des préoccupations environnementales. Selon M. Schepper, l'extraction du pétrole retarderait l'atteinte des objectifs gouvernementaux en matière de lutte contre le changement climatique et serait «un important pas en arrière».

L'hypothèse de travail du chercheur a consisté à considérer que les réserves de pétrole s'élèvent à 42,9 milliards de barils sur l'île d'Anticosti. Ce chiffre est tiré des prévisions les plus optimistes de l'industrie pétrolière impliquée à Anticosti; l'évaluation préliminaire se situerait entre 33 et 45 milliards de barils.

Accès difficile

M. Schepper explique toutefois avoir abaissé le potentiel à 30 milliards de barils, compte tenu de l'accès difficile à la ressource sur une île qui ne compte que très peu d'infrastructures. «Nous posons donc l'hypothèse tout de même favorable à l'industrie qu'environ 70% de la superficie exploitable d'Anticosti sera soumise à l'extraction», écrit-il.

Ce dernier précise que le taux de récupération se situe entre 1 et 2%. Du côté de l'industrie, on espère plutôt atteindre 5%, ce qui se compare à l'exploitation qui se fait dans l'État américain de l'Iowa, où l'on retrouve une formation géologique semblable.

M. Schepper a également estimé que l'exploitation pourrait s'étendre sur 30 ans à compter de 2020. Au cours de cette période, le chercheur croit que l'exploitation pétrolière créerait 8,5 emplois directs (travailleurs à l'installation des puits) et 21 emplois indirects (transport du pétrole, par exemple) par million de barils extraits. Il s'est basé sur les effets sur l'emploi de l'exploitation du pétrole de schiste au Dakota-du-Nord. Ainsi, «au plus fort de la production en 2034, l'exploitation pétrolière sur Anticosti représenterait autour de 718 emplois dont 205 seraient des emplois directs».

«Cet apport est certainement non négligeable, mais ne peut être considéré comme un moteur viable à long terme de l'économie», note M. Schepper. De plus, il souligne que ce secteur industriel «n'est pas reconnu pour favoriser l'emploi des femmes et des personnes des minorités visibles».

M. Schepper a également analysé la question des redevances et l'effet de l'exploitation du pétrole sur le solde commercial du Québec. Tous ces éléments l'amènent à conclure que le projet n'est pas rentable et demeurerait marginal par rapport au reste de l'économie. «Il est peu probable que l'aventure d'Anticosti soit un eldorado», soutient-il.

«Selon nos estimations, pour être rentable, il faudrait que le prix du baril de pétrole soit de 163,20$, soit 2,94 fois le prix où il s'échangeait en août 2015», affirme M. Schepper.