Un article de notre collègue Judith Lachapelle intitulé «Chut! Ne le dites pas à personne» publié à l'automne a inspiré une avocate en matière d'enquêtes internes sur le harcèlement et la violence au travail à écrire sur le sujet.

L'article est révélateur et combien fondé. En effet, dire à des jeunes d'une classe: «C'est un secret, et il ne faut pas en parler aux élèves des autres niveaux», c'est suffisant pour déclencher chez eux un besoin urgent de divulguer l'information. Ce phénomène n'est pas observé que chez les enfants; plusieurs adultes réagissent de la même manière. C'est un peu comme dire «confiez-vous à votre coiffeur» et tout le quartier le saura assurément!

Sans grande surprise, le milieu de travail ne fait pas exception à la règle. De fait, il s'agit de l'un des endroits où les confidences sont le moins bien gardées. En outre, au travail, les secrets alimentent les rumeurs, ce qui peut entraîner des répercussions dévastatrices non seulement pour ceux qui sont concernés, mais également pour les membres de leur entourage familial et professionnel.

D'abord, assurer la confidentialité

En matière de harcèlement psychologique en milieu de travail, la confidentialité des renseignements reliés à une plainte est cruciale. Plusieurs politiques contre le harcèlement précisent cette question, mais les employeurs doivent répéter leurs attentes en matière de confidentialité, notamment lorsque les parties et les témoins sont convoqués dans le cadre d'une enquête administrative interne.

C'est aussi pour cela que la majorité des enquêteurs désignés font signer, si cela n'a pas été fait avant, un engagement de confidentialité aux déclarants et aux observateurs susceptibles d'accompagner les parties lors des entrevues. Parfois, certains employeurs hésitent avant de permettre à un enquêteur de rencontrer un témoin qui a quitté l'organisation ou un tiers: ils ont moins de maîtrise sur ses agissements qu'ils en auraient sur ceux d'un employé.

Mais, malgré toutes ces précautions, pourquoi entendons-nous régulièrement dire que «tout le monde est au courant»?

Outre le fait que la nature humaine est curieuse et que le potinage va bon train, surtout en milieu de travail, les manquements à la confidentialité sont souvent causés par l'absence de consignes, le manque de clarté de celles-ci ou une incompréhension des buts recherchés ainsi que des conséquences possibles de tels écarts, plutôt que vouloir faire fi des responsabilités et des obligations de discrétion.

Le téléphone de brousse

Prenons l'exemple suivant: un employé estime être victime de harcèlement psychologique. Il se confie à ses collègues Pierre et Jeanne pour connaître leur point de vue. Il en profite pour demander à Jeanne si elle accepterait de venir témoigner en sa faveur.

Par la suite, Pierre en glisse un mot à Jacques, près des casiers. Une autre collègue, France, entend des bribes de leur conversation. Elle ne dit rien sur le coup, mais le lendemain, elle en parle à un autre collègue.

En quelques minutes, heures ou jours, c'est l'effet boule de neige. Plusieurs personnes connaissent la situation. Pire encore, l'information transmise changera en cours de route. Ce qui n'aurait pas dû être révélé, deviendra «le» sujet de conversation. Pour complexifier cet exemple, on pourrait aussi imaginer qu'un de ces employés en parle à ses amis des réseaux sociaux. Vous souvenez-vous du jeu du secret à l'oreille? Une première personne chuchote une phrase à la seconde et ainsi de suite. Le but est de voir l'évolution de la phrase initiale.

Que de surprises lorsque la dernière personne autour de la table révèle, à voix haute, ce qu'elle vient d'entendre! La même chose se produit sur les lieux de travail. Les rumeurs, souvent déformées et non fondées, favorisent le clivage au sein d'un groupe. Pour diminuer les risques et éviter les dérapages, les employeurs doivent expliquer de façon claire aux employés quelles sont leurs attentes par rapport à la confidentialité et, surtout, ne pas hésiter à intervenir dès qu'ils savent que des rumeurs circulent, qu'elles soient fondées ou non.

Devant des problèmes de discrétion et de confidentialité, les personnes en autorité doivent:

1. Expliquer pourquoi elles exigent la confidentialité, sans oublier de parler des exceptions (notamment, le droit pour une personne de se confier à un conseiller de son choix). 2. S'assurer que tous les employés (les superviseurs, les gestionnaires et les représentants syndicaux), comprennent qu'un écart à cette obligation risque de nuire. Il pourrait empirer la situation, influencer les autres ou causer un préjudice à la réputation. Le conseil «réfléchir avant de parler» est toujours de mise;

3. S'assurer qu'il existe, dans les politiques, des clauses relatives à la confidentialité et à la discrétion, au respect d'autrui et au respect des règles portant sur l'utilisation des technologies de l'information; 4. Désigner une personne-ressource à l'interne qui pourrait être approchée par tout employé ayant besoin de se confier et qui serait en mesure, au besoin, d'orienter l'employé vers d'autres ressources. Par exemple, dans un tel cas, le recours au programme d'aide aux employés devient souvent incontournable. Cette démarche devrait toujours demeurer confidentielle. 5. Faire signer un engagement de confidentialité aux déclarants (y compris aux observateurs des parties, si cela s'applique). Dans ce contexte, il est important de recourir à une terminologie que les signataires comprendront.

Les conseillers en gestion des ressources humaines peuvent aussi recevoir des employés qui leur racontent ce qui se passe et demandent, vers la fin de l'entrevued'être discret. «Je vous l'ai dit, cela m'a fait du bien, mais je ne veux pas que vous en parliez.»

Le conseiller se retrouve alors dans une situation délicate. Certains se sentent alors pris entre l'arbre et l'écorce. Il vaut donc mieux clarifier cet aspect rapidement. Par prudence et dans un souci de transparence, plusieurs employeurs désirant éviter de mauvaises surprises ont d'ailleurs choisi de préciser dans leur politique que la direction se réserve le droit d'intervenir, qu'il y ait plainte ou non, à partir du moment où il existe des motifs raisonnables de croire que la politique a été violée.

Certains conseillers demandent à l'employé, dès le début de l'entretien, quelles sont ses attentes en venant se confier. Ils pourront ainsi lui expliquer rapidement que leur conversation ne peut pas rester entièrement confidentielle. D'autres, lorsque l'employé ne désire partager ses échanges, donnent des conseils aux employés en leur proposant d'intervenir. Ils promettent qu'un suivi sera fait au cours des deux ou trois jours suivants. Il ne doit pas ici s'agir d'un cas urgent ou qui met sa sécurité en jeu. Si la situation ne s'est pas améliorée, l'employé qui s'est confié doit alors comprendre que le conseiller pourrait n'avoir d'autres choix que d'intervenir si les circonstances le justifient, et qu'en conséquence, ce qui a été dit ne restera pas nécessairement secret. L'important sera alors de le faire le plus discrètement possible.

Isabelle Cantin est médiatrice accréditée et membre de l'Ordre des conseilleurs en ressources humaines agréés.