Après avoir eu un bébé, quand le temps est venu de retourner au travail après leur congé de maternité, les jeunes mamans du documentaire Bébé ou CV? ont trouvé trop difficile de concilier travail et famille. Fatiguées de cette course folle, elles ont choisi de mettre leur carrière de côté pour s'occuper de leurs enfants.

C'est ce qui est arrivé à la scénariste et réalisatrice du film, Marie-Pierre Duval. Après la naissance de son fils, elle est restée à la maison pendant 20 mois. Quand le petit a eu 3 mois, elle a commencé à travailler sur son projet au compte-gouttes, à raison de trois heures par semaine, pour garder une activité intellectuelle.

 

En cours de route, elle a rencontré beaucoup de parents, mais surtout des mères, qui se sentent déchirées en raison de la difficulté qu'elles éprouvent à arrimer travail et carrière. Le même constat a été fait à grande échelle par Linda Duxbury, chercheuse à l'Université de Carleton, dans une étude réalisée sur 10 ans auprès de 32 000 Canadiens.

D'après les résultats obtenus, de 25% à 60% des travailleurs canadiens seraient aux prises avec un important conflit entre le travail et la famille. Résultat: selon l'étude, la majorité des Canadiens choisissent de sacrifier leur vie personnelle, de diminuer leur vie sociale, de ne pas avoir d'enfants ou de dormir moins! Il y a de quoi: le temps consacré au travail a augmenté. En 1991, un travailleur sur 10 passait plus de 50 heures par semaine au travail. Aujourd'hui, c'est un sur quatre.

Pour les mères présentées dans Bébé ou CV?, c'est la carrière qui a été sacrifiée. «Le marché du travail a été mis en place à une époque où les rôles sociaux étaient très définis entre les hommes et les femmes, dit Marie-Pierre Duval. Quand les femmes sont entrées sur le marché du travail, on a gardé les mêmes structures sans tenir compte de cette double identité de parent et de travailleur, surtout pour les cadres et les professionnels.»

Il y aurait pourtant des moyens d'éviter que ces mères soient obligées d'abandonner toute activité professionnelle, par exemple en modifiant l'organisation du travail. Mais pour cela, il faut d'abord changer la culture organisationnelle.

«Il y a beaucoup de réticence à s'adapter aux nouvelles réalités, dit-elle. On pourrait diviser des postes entre deux personnes, mais ce sont des modèles qui n'existent pas. Le temps partiel est perçu comme précaire. C'est dommage, car on a des mères qualifiées et trilingues qui auraient 15, 20 heures par semaine à donner.»

Questionner l'intensification du travail

Pour Romaine Malenfant, sociologue, il n'y a pas d'incompatibilité entre travail et vie de famille. «Je comprends les jeunes mères qui ont fait ce choix présenté dans le documentaire, dit-elle. Mais il faut éviter d'en conclure que travail et vie professionnelle sont incompatibles. Il ne faut pas oublier qu'une majorité de gens y parvient, et ne pas généraliser les situations difficiles. Néanmoins, tout le monde s'entend pour dire qu'il y a des choses à améliorer.»

Selon elle, il ne revient pas qu'aux mères de se questionner, mais aussi aux pères et à la société dans son ensemble, sur l'organisation du travail et sur la place qu'il occupe dans nos vies. «Les recherches montrent que même quand on met en place des mesures de conciliation travail-famille, il est difficile de les utiliser, parce que la charge de travail est trop grande, dit-elle. Même si la semaine de quatre jours est offerte, les gens doivent faire une semaine de cinq jours en quatre, parce que la charge de travail n'est pas diminuée.»

Le travail s'est intensifié au cours de la dernière décennie. Plusieurs facteurs sont en cause, comme la réduction des effectifs, la culture d'entreprise, les nouvelles technologies, la concurrence devenue mondiale et la rapidité des changements.

«Ce n'est pas la compatibilité entre le travail et la famille qu'il faut questionner, mais le travail en soi. Le travail est devenu trop prenant dans la vie des gens. Le problème touche tout le monde. C'est pour cela que le débat s'est élargi du concept de conciliation travail-famille à celui de conciliation travail et vie personnelle», dit Romaine Malenfant.