L'affaire des plats préparés à la viande de cheval faussement estampillés «boeuf», qui s'étend désormais au-delà de l'entreprise Spanghero et implique plusieurs sociétés en Europe, met en lumière la mondialisation du marché de la viande, essentiellement congelée.

Pour René Laporte, expert des marchés internationaux pendant plus de 40 ans et auteur de «La Viande voit rouge» (ed. Fayard), la nécessité d'approvisionner l'industrie agroalimentaire pour la grande distribution a justifié le développement de ces pratiques.

Mais contre les fraudeurs, «c'est à l'acquéreur de vérifier la qualité» de sa commande à la livraison, insiste cet ancien directeur de la fédération des professionnels de l'abattage, de l'industrie et du commerce de la viande.

Auparavant, explique-t-il, «les bovins arrivaient à l'abattoir et repartaient en carcasses chez le boucher détaillant, qui débitait la bête et la mettait en quartiers. Ce qu'il vendait mal, il le préparait lui-même en plats traiteur».

Puis, dans les années 70, «la grande distribution est arrivée qui ne s'intéressait qu'aux morceaux nobles. D'où le fractionnement de la carcasse: une partie vendue directement en frais, d'une durée de vie limitée de trois à cinq semaines. Et le reste, repris par l'industrie et congelé pour être utilisé en conserves ou en plats surgelés» .

Ce qui a favorisé le développement d'un marché du «minerai» de viande, des résidus bas de gamme, mêlés de collagène et de graisse, en vrac et congelé, qui circule dans le monde entier, à travers l'Europe et jusqu'en Amérique du Sud.

«Aujourd'hui, 80% du négoce international se fait en congelé, sauf pour les morceaux très nobles comme l'entrecôte ou le faux-filet, qui voyagent en circuits réfrigérés à 0 ou 2°C».

«Il n'y a pas de bourse à la viande, chaque courtier saisi d'une commande a son propre réseau et sait où se fournir selon ce qu'il cherche: si c'est du minerai, quel pourcentage de viande, de gras...».

Ce recours aux intermédiaires a toujours existé, insiste René Laporte: on ne disait pas «trader», qui renvoie à la finance avec un parfum de soufre, mais «commissionnaire».

Le courtier ne voit pas forcément l'acheteur ni même la viande échangée: «Mais c'est à lui de vérifier la cargaison: il a des documents commerciaux qui accompagnent les livraisons, des étiquettes, des déclarations: tout est numéroté, documenté».

«Si la commande n'est pas conforme, il lui suffit de la refuser», insiste ce spécialiste. D'autant que «les sommes en jeu sont importantes: un camion, c'est en moyenne 200 000 euros de marchandise».

Au sein de l'Union européenne, la viande bovine est bien tracée, avec la précision de l'origine. «Mais pas le minerai qui a échappé aux règles de traçabilité instaurées en 1996-2000 lors de la crise de la vache folle, parce qu'on a considéré alors que c'était trop compliqué», note René Laporte.

«Disons que tout le monde s'est arrangé pour éviter d'en parler», pointe-t-il, en relevant que ces échanges «représentent environ 20% du marché en poids, mais nettement moins en valeur, évidemment».

«Donc si la viande fraiche est très contrôlée, c'est moins vrai pour la viande congelée et cuisinée. Or, le consommateur ne peut exercer sa vigilance: alors qu'il voit le produit frais, sa couleur et sa texture. Avec le surgelé, il ne voit rien», souligne l'expert.

Bien sûr, ajoute-t-il, «a priori on travaille en confiance: le fournisseur ne va pas me fourguer une mauvaise marchandise si je suis bon client. Mais la confiance n'exclut pas le contrôle».

Et selon lui, ce n'est pas non plus une affaire de pays d'origine: «Il n'y a pas une liste noire des pays: ce n'est pas le pays qui compte, c'est l'interlocuteur».

Au sein de l'UE, les circuits du boeuf passent surtout par la France, l'Irlande, l'Allemagne et le Danemark pour l'exportation, avec les Pays-Bas pour le négoce. Hors UE, l'Amérique latine est le premier fournisseur avec le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay.