La Haute-Gaspésie est la MRC la plus dévitalisée du Québec. Difficile à croire pour ce territoire majestueux et fertile qui se trouve entre les montagnes des Chic-Chocs et la mer. Mais là, dans le vide creusé par le départ des grandes entreprises, des PME ont poussé.

« La raison pour laquelle on se retrouve maintenant dans cette situation économique, c’est qu’on a eu des saignées de population. »

Marc-Antoine DeRoy est directeur de la Société d’histoire de la Haute-Gaspésie, qui tient la librairie dans la rue principale de Sainte-Anne-des-Monts.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Cette rue qui a autrefois été très animée aurait besoin de quelques commerces pour lui redonner un peu de lustre. D’autant qu’elle borde la mer. L’endroit est magnifique.

L’historien a bon espoir : la rue principale va revivre.

Déterminés à revitaliser la région
  • Marc Antoine DeRoy, président de la Société d’histoire de la Haute-Gaspésie : il croit que le soutien de l’État n’a pas à se faire par des subventions spectaculaires, mais des gestes concrets : si la SAQ s’installait dans la rue principale de Sainte-Anne-des-Monts plutôt que sur la 132, ça ne changerait rien à ses ventes. Mais ça serait un coup de vitalité pour la rue principale, qui en a besoin.

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    Marc Antoine DeRoy, président de la Société d’histoire de la Haute-Gaspésie : il croit que le soutien de l’État n’a pas à se faire par des subventions spectaculaires, mais des gestes concrets : si la SAQ s’installait dans la rue principale de Sainte-Anne-des-Monts plutôt que sur la 132, ça ne changerait rien à ses ventes. Mais ça serait un coup de vitalité pour la rue principale, qui en a besoin.

  • Paule Ménard-Pelletie, présidente de la Chambre de commerce de la Haute-Gaspésie et copropriétaire de Couleur Chocolat, à Sainte-Anne-des-Monts : elle est en Haute-Gaspésie non pas parce qu’elle aime faire du ski ou qu’elle aime manger du poisson. Elle est en Haute-Gaspésie parce que la vie y est belle. « On prend le temps de vivre ici. »

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    Paule Ménard-Pelletie, présidente de la Chambre de commerce de la Haute-Gaspésie et copropriétaire de Couleur Chocolat, à Sainte-Anne-des-Monts : elle est en Haute-Gaspésie non pas parce qu’elle aime faire du ski ou qu’elle aime manger du poisson. Elle est en Haute-Gaspésie parce que la vie y est belle. « On prend le temps de vivre ici. »

  • Carl Bourget, président, directeur général et fondateur de la Distillerie Cap-Chat : il avait un vignoble dans la région de Québec, où il a fait du vin, mais aussi du cidre, puis des spiritueux. Cette expérience lui a donné l’expertise pour lancer sa distillerie. Le coup de pouce offert par le programme de crédit d’impôt a pesé dans la balance lorsqu’il a décidé de s’installer à Cap-Chat. Le crédit d’impôt et la mer à perte de vue devant ses yeux lorsqu’il fait ses tests avec des champignons et du poivre des dunes de la Gaspésie pour ses gins.

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    Carl Bourget, président, directeur général et fondateur de la Distillerie Cap-Chat : il avait un vignoble dans la région de Québec, où il a fait du vin, mais aussi du cidre, puis des spiritueux. Cette expérience lui a donné l’expertise pour lancer sa distillerie. Le coup de pouce offert par le programme de crédit d’impôt a pesé dans la balance lorsqu’il a décidé de s’installer à Cap-Chat. Le crédit d’impôt et la mer à perte de vue devant ses yeux lorsqu’il fait ses tests avec des champignons et du poivre des dunes de la Gaspésie pour ses gins.

  • Simon Deschênes, maire de Sainte-Anne-des-Monts : il demande une meilleure visibilité pour sa ville et pour la région. Le tissu socio-économique s’est reconstruit grâce à la détermination des entrepreneurs locaux, dit le maire, mais il manque le lien et le rôle naturel de l’État. Quand quelqu’un quitte Sainte-Anne-des-Monts pour aller à un rendez-vous médical à Matane ou à Rimouski, il en profite pour faire son épicerie, aller au cinéma et souper. « Le dollar-loisir sort de la région », dit-il.

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    Simon Deschênes, maire de Sainte-Anne-des-Monts : il demande une meilleure visibilité pour sa ville et pour la région. Le tissu socio-économique s’est reconstruit grâce à la détermination des entrepreneurs locaux, dit le maire, mais il manque le lien et le rôle naturel de l’État. Quand quelqu’un quitte Sainte-Anne-des-Monts pour aller à un rendez-vous médical à Matane ou à Rimouski, il en profite pour faire son épicerie, aller au cinéma et souper. « Le dollar-loisir sort de la région », dit-il.

  • Jean-Sébastien Cloutier, président de la corporation du Mont-Saint-Pierre : Mont-Saint-Pierre, connu pour le vol libre, veut se diversifier pour élargir la clientèle touristique. « On veut dynamiser l’économie et le côté social », explique celui qui a racheté l’ancien magasin général de son grand-père, en plein cœur du village, et a développé son école de vol libre. « On veut qu’il y ait une rencontre entre les visiteurs et les habitants, que les gens du village deviennent des ambassadeurs. »

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    Jean-Sébastien Cloutier, président de la corporation du Mont-Saint-Pierre : Mont-Saint-Pierre, connu pour le vol libre, veut se diversifier pour élargir la clientèle touristique. « On veut dynamiser l’économie et le côté social », explique celui qui a racheté l’ancien magasin général de son grand-père, en plein cœur du village, et a développé son école de vol libre. « On veut qu’il y ait une rencontre entre les visiteurs et les habitants, que les gens du village deviennent des ambassadeurs. »

  • Sandra Gauthier, directrice générale d’Exploramer et fondatrice du programme Fourchette bleue : elle rêve de voir la MRC la plus dévitalisée du Québec être confiée en mandat spécial au premier ministre du Québec, « comme un parent qui prendrait soin d’un enfant malade ».

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    Sandra Gauthier, directrice générale d’Exploramer et fondatrice du programme Fourchette bleue : elle rêve de voir la MRC la plus dévitalisée du Québec être confiée en mandat spécial au premier ministre du Québec, « comme un parent qui prendrait soin d’un enfant malade ».

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Car des petites entreprises, il y en a.

On pense notamment à Couleur Chocolat, pas très loin de la librairie, copropriété de Paule Ménard-Pelletier qui est aussi présidente de la Chambre de commerce de la Haute-Gaspésie.

Lorsqu’elle a pris la direction de la chambre, il y a cinq ans, le regroupement était moribond. « J’ai convoqué une rencontre de fermeture », explique l’entrepreneure, déterminée.

Ça a brassé les choses.

« On était à la plus basse marée que tu peux avoir, raconte Paule Ménard-Pelletier. Et maintenant, on est à la marée montante. Pas encore à la plus haute, mais à la marée montante. »

La jeune femme s’est installée dans la région il y a une dizaine d’années. En étant une « néo-Haute-Gaspésienne », elle est moins nostalgique de ce qui a été perdu, de son propre aveu.

Ceux qui sont là depuis toujours ont connu une autre époque.

Celle des Mines Madeleine, implantées en Haute-Gaspésie à la fin des années 1960 et qui ont fait croître l’économie : des infrastructures se sont développées, les emplois étaient payants. Les Mines ont fermé au début des années 1980.

La Haute-Gaspésie a vécu un choc économique énorme quand les Mines Madeleine ont fermé.

Michel Marin, responsable de l’est du Québec pour le Parti libéral du Québec

« On a décru à partir de ce moment-là, explique Michel Marin, grand défenseur des droits des régions et responsable de l’est du Québec pour le Parti libéral du Québec. Notre industrie de la pêche a périclité avec la disparition des stocks de poissons. La forêt ? Avant ça, on avait une multitude de moulins de transformation : à Cap-Chat, à Sainte-Anne-des-Monts, à La Martre, à Marsoui. Il y avait des moulins partout. Ça faisait vivre tout le monde. »

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La crise dans le milieu de la pêche n’aide pas l’économie de la région : la pêche était jadis l’un des grands employeurs de la Haute-Gaspésie.

« La décroissance a continué jusqu’à très récemment, poursuit-il, où il y a eu un relent de microentreprises. Maintenant, c’est ça, notre fierté. On est sur ce souffle-là. On s’en inspire. Mais ça demeure de la petite, de la microéconomie. »

Petite, certes, mais précieuse et essentielle, rétorque la présidente de la Chambre de commerce de la Haute-Gaspésie.

Il faut concerter et développer les petites entreprises sur notre territoire pour avoir quelque chose de tissé serré. C’est mieux d’avoir des petites mailles dans le filet. Quand il y en a une qui casse, ça fait un moins gros impact dans le filet.

Paule Ménard-Pelletier, présidente de la Chambre de commerce de la Haute-Gaspésie

La région commence à attirer une relève entrepreneuriale plus diversifiée, selon Paule Ménard-Pelletier.

« Il y a un espoir et une vitalité qui tentent de s’implanter malgré cette espèce de misère de 104e sur 104 des MRC, dit-elle. On ne se laissera pas abattre par ça. »

Bonne dernière

Le 104 dont parle la présidente de la chambre de commerce régionale est la liste des MRC québécoises, classées par indice de vitalité.

La Haute-Gaspésie est bonne dernière.

L’indice de vitalité économique s’appuie sur trois valeurs : le revenu médian des habitants, le taux d’accroissement annuel de la population sur cinq ans et le taux de travailleurs parmi la population.

La Haute-Gaspésie a un taux de travailleurs de 57 % dans sa population des 25 à 64 ans. Dans toute la province, seules trois MRC ont un taux sous les 60 % – les deux autres sont la MRC Golfe-du-Saint-Laurent sur la Côte-Nord et la MRC du Rocher-Percé.

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Sainte-Anne-des-Monts est la seule ville de la Gaspésie à posséder une église à deux clochers. Avec ses 7000 habitants, elle est de loin la ville la plus populeuse de la MRC Haute-Gaspésie.

C’est tragique, mais selon Paule Ménard-Pelletier, appartenir à une région dévitalisée n’a pas que des points négatifs : cela donne accès à des projets pilotes, comme celui de la clinique dentaire communautaire de Sainte-Anne-des-Monts. Des entrepreneurs ont aussi droit à des subventions pour favoriser leur projet ou à un crédit d’impôt à l’investissement.

C’est ainsi que l’ancienne usine de crevette de Cap-Chat est récemment devenue une distillerie.

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Le distillateur Carl Bourget a vécu en Gaspésie lorsqu’il était petit. Il croit que la vie (et le gin !) l’a ramené à la mer. « Ça fait partie de moi, dit-il. Sans le savoir, j’ai reproduit un peu mon enfance. »

L’investissement était majeur et le coup de pouce offert par le programme de crédit d’impôt a pesé dans la balance lorsque Carl Bourget a décidé de s’installer à Cap-Chat.

Ça et la mer à perte de vue devant ses yeux lorsqu’il fait ses tests avec des champignons et du poivre des dunes de la Gaspésie pour ses gins. Il va aussi cueillir son églantier sauvage à deux pas, juste l’autre côté de la route 132.

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Les gens de la Haute-Gaspésie misent fort sur le développement d’une offre touristique quatre saisons, sur la côte, avec les montagnes comme grand produit d’appel pour toutes sortes de clientèles.

Dans la cour de la distillerie, plus loin, mais très visibles, les Chic-Chocs. L’eau utilisée pour élaborer les alcools provient de leur piémont.

La distillerie de Cap-Chat est très jeune, à peine plus d’un an. Elle compte cinq employés, un peu plus l’été lorsque les touristes qui passent devant s’arrêtent et repartent avec une bouteille ou deux.

L’ancienne usine compte 16 000 pieds carrés. L’entrepreneur a acheté la maison voisine et un bateau avec lequel il part pêcher le bar rayé lorsqu’il peut, en saison. Car le fleuve vient avec la région dévitalisée, il la borde.

« On peut tout faire ici. Et tout est à faire : le potentiel est immense », lance Jean-Sébastien Cloutier, rencontré à Mont-Saint-Pierre.

Le village, qui se situe plus à l’est, à 70 km de Cap-Chat, va avoir un nouveau spectacle immersif de vol libre dans l’église, dès le mois prochain.

Jean-Sébastien Cloutier est président de la corporation du Mont-Saint-Pierre. Après des années de dur labeur, le projet du groupe voit le jour. Il comprend notamment un observatoire au sommet du mont Saint-Pierre, avec terrasse, d’où l’on pourra voir les adeptes de vol libre s’élancer dans le vide, face à la mer.

On sent qu’un dynamisme revient ici.

Jean-Sébastien Cloutier, président de la corporation du Mont-Saint-Pierre

« C’est extrêmement difficile, on est une MRC très dévitalisée et c’est toujours plus dur. C’est toujours plus dur et plus le fun. »

Question d’équité

Si le tissu socio-économique s’est reconstruit, grâce à la détermination des entrepreneurs locaux, que manque-t-il alors à la Haute-Gaspésie ?

« Il manque le lien et le rôle naturel de l’État », dit le maire de Sainte-Anne-des-Monts, Simon Deschênes, qui devient si émotif lorsqu’il parle de sa communauté, et des défis qu’elle affronte, qu’il doit se lever durant l’entrevue pour prendre une grande respiration.

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Parmi les perles méconnues de la région, le village de La Madeleine, moins de 300 habitants, un phare et quelques restaurants, veut développer l’offre touristique, notamment autour de la pêche.

Coincée entre la Matanie et la pointe politico-touristique de Gaspé-Percé, la région manque souvent de services de l’État, détaille-t-il. Quand quelqu’un quitte Sainte-Anne pour aller à un rendez-vous en obstétrique ou pour les cataractes à Matane ou à Rimouski, il en profite pour faire son épicerie, aller au cinéma et souper, illustre le maire Simon Deschênes.

« Le dollar-loisir sort de la région », dit-il.

Selon lui, le manque de représentation politique et le désert médiatique dans lequel elle se trouve desservent la Haute-Gaspésie.

« Quand il se passe quelque chose ici, ça reste ici », précise Sandra Gauthier, directrice générale d’Exploramer et fondatrice de Fourchette Bleue, une référence provinciale en pêche durable.

« Je ne crois pas que quelqu’un qui vit ici va s’en rendre compte [du niveau de dévitalisation], dit Sandra Gauthier. Mais quand tu commences à t’impliquer et à vouloir faire du développement, ça devient plus clair. »

En savoir plus
  • 31 000 $
    Revenu total médian des résidants de la Haute-Gaspésie de 18 ans et plus
    Indice de vitalité économique, Institut de la statistique du Québec, 2020. Le prochain indice va être publié l’année prochaine.
    -9,7 %
    C’est le taux d’accroissement annuel moyen de la population sur cinq ans. La Haute-Gaspésie a le deuxième ratio de décroissance en importance de tout le Québec. Seule la MRC de la Haute-Côte-Nord avait perdu plus d’habitants en 2020.
    Indice de vitalité économique, Institut de la statistique du Québec, 2020
  • 0
    La Gaspésie est la seule région administrative (Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine) dont toutes les MRC sont dévitalisées – ou ont un indice de vitalité économique négatif.
    Indice de vitalité économique, Institut de la statistique du Québec, 2020
    3
    Trois MRC de la Gaspésie sont parmi les dix plus dévitalisées de la province : Haute-Gaspésie, Rocher-Perché et Avignon.
    Indice de vitalité économique, Institut de la statistique du Québec, 2020
  • 10
    Les MRC les plus dévitalisées du Québec sont : La Haute-Gaspésie, Le Rocher-Percé, Pontiac, La Matapédia, La Haute-Côte-Nord, La Vallée-de-la-Gatineau, Le Golfe-du-Saint-Laurent, Avignon, Les Basques et Témiscouata.
    Indice de vitalité économique, Institut de la statistique du Québec, 2020
    10 950
    Population de la Haute-Gaspésie sur plus de 5000 km⁠2 de territoire, en bordure de mer – elle était de 11 316, 5 ans auparavant. Plus de la moitié vit à Sainte-Anne-des-Monts – autour de 7000 personnes.
    Statistique Canada