(Ottawa) Le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a déposé jeudi un projet de loi pour mettre en œuvre son plan sur les emplois durables, mais une bataille se dessine à l’horizon avec le gouvernement de l’Alberta. La première ministre Danielle Smith considère qu’il s’agit d’une « menace inconstitutionnelle et existentielle » pour l’économie de sa province.

Elle réclame le pouvoir de nommer des membres du nouveau comité consultatif qui sera créé une fois le projet de loi adopté, afin qu’il tienne compte du plan de son gouvernement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’énergie. Le plan s’appuie sur le financement de nouvelles technologies comme la capture et le stockage de carbone et l’augmentation des exportations de gaz naturel liquéfié.

Si elle juge que les recommandations sont « incompatibles » avec ce plan ou « interfèrent » avec son champ de compétence en matière de ressources naturelles, « l’Alberta ne reconnaîtra en aucune manière la légitimité de ces recommandations », a fait savoir la première ministre dans une déclaration jeudi après-midi.

Les industries pétrolière, gazière et minière emploient environ 138 000 personnes dans la province et le salaire moyen dépasse 46 $ l’heure, selon le ministère albertain du Travail. C’est également une source de revenus considérable pour le gouvernement, qui a tiré 11,6 milliards en redevances de l’extraction du pétrole des sables bitumineux en 2021-2022.

M. Wilkinson, qui doit rencontrer Mme Smith à Calgary lundi, s’est dit sûr de pouvoir la convaincre du bien-fondé du projet de loi C-50. « Le langage autour des emplois durables en est un avec lequel elle est en accord et qui met l’accent sur l’économie du futur pour créer de bons jobs et des opportunités, a-t-il rappelé. Je pense que c’est une chose avec laquelle nous sommes tous d’accord. »

« Je sais que des gens voient de façon cynique le fait que nous l’avons rebaptisé, a constaté le ministre du Travail, Seamus O’Regan en conférence de presse. Nous ne le nommons plus [le plan] pour la transition juste, nous le nommons [le plan] pour des emplois durables, et c’est pour une très bonne raison. »

L’expression « transition juste » est utilisée à l’échelle internationale pour décrire la protection de la main-d’œuvre touchée par l’évolution vers une économie verte, mais elle était perçue en Alberta comme une menace pour les emplois du secteur de l’énergie.

Dans une lettre envoyée au premier ministre Justin Trudeau en février, Danielle Smith lui avait demandé de ne pas déposer le projet de loi, sans quoi elle refuserait de collaborer avec le gouvernement fédéral pour la capture et le stockage du carbone émis par l’industrie pétrolière et gazière.

Le plan du ministre Jonathan Wilkinson avait peu attiré l’attention lorsqu’il avait été dévoilé le 17 février, soit le même jour que la sortie du rapport de la commission Rouleau. Il prévoit 10 pistes d’action jusqu’en 2025 pour requalifier les travailleurs. Par la suite, les gouvernements subséquents devraient produire un nouveau plan tous les cinq ans.

« La loi en soi est nécessaire parce que ça va assurer que les prochains gouvernements vont continuer de soutenir les travailleurs canadiens dans une économie mondiale en mutation », a affirmé M. Wilkinson en conférence de presse.

« Quand ce projet de loi devrait-il passer en deuxième lecture ? », a demandé le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, après le dépôt du projet de loi jeudi matin.

« Jamais », a-t-on entendu sur les banquettes conservatrices.

Le projet de loi rédigé en collaboration avec le Nouveau Parti démocratique (NPD) servira à mettre en œuvre le plan pour des emplois durables. Il s’agit d’un des points de l’entente qui permet aux libéraux de Justin Trudeau de gouverner comme s’ils étaient majoritaires jusqu’en 2025.

« Trop souvent, lors d’une transition économique, les travailleurs sont laissés pour compte », a affirmé le député néo-démocrate Daniel Blaikie, qui a participé à la conférence de presse aux côtés des ministres Wilkinson et O’Regan. Ils auront maintenant voix au chapitre en étant à la table avec le gouvernement et l’industrie par l’entremise de leurs représentants syndicaux. Le projet de loi a l’appui du Congrès du travail du Canada et d’Unifor.

Il permettra, entre autres, de créer un secrétariat pour chapeauter les programmes de formation qui permettront aux travailleurs de l’industrie des hydrocarbures de se reconvertir, un Conseil des partenariats qui fournira des conseils au gouvernement, et obligera à produire un plan quinquennal à compter de 2025 pour la création d’emplois durables.

Le Syndicat des Métallos demeure toutefois sceptique. Il aurait souhaité que le projet de loi définisse une stratégie industrielle globale avec davantage d’investissements dans les technologies propres, un engagement à rapatrier au Canada les emplois manufacturiers délocalisés, l’obligation d’utiliser des matériaux canadiens dans les projets d’infrastructure du fédéral et une stratégie pour promouvoir ailleurs dans le monde les produits fabriqués ici comme l’aluminium vert.

En savoir plus
  • 82,7 milliards
    Somme que pourraient atteindre les crédits d’impôt du fédéral pour le secteur de l’énergie propre sur 10 ans
    Source : ministère des Finances