(Washington) La Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé ses taux d’intérêt de trois quarts de point de pourcentage mercredi, sa plus forte hausse depuis 1994, alors que la banque centrale intensifie ses efforts pour lutter contre l’inflation la plus rapide en quatre décennies.

Ce que vous devez savoir

  • Les indices boursiers nord-américains ont connu une hausse immédiate après l’annonce de la Fed.
  • Des économistes de RBC et CIBC estiment que la Banque du Canada risque fort d’imiter la Fed en haussant son taux directeur de 75 points de base le mois prochain.
  • Desjardins estime que la Fed est « décidément prête à porter de grands coups afin de mater l’inflation ». D’autres fortes hausses de taux directeurs sont à prévoir.
  • « Que ce soit clair, nous ne sommes pas en train d’essayer d’induire une récession », a déclaré, rassurant, le président de la Fed Jerome Powell.

La Presse

La forte hausse des taux, à laquelle les marchés s’attendaient, a souligné que les responsables de la Fed étaient déterminés à juguler la hausse des prix, même si cela a un coût pour l’économie.

Signe de l’impact que les politiques de la Fed devraient avoir sur l’économie, les responsables ont prédit que le taux de chômage atteindrait 3,7 % cette année et 4,1 % en 2024, et que la croissance ralentirait considérablement à mesure que les responsables politiques augmenteraient fortement les coûts d’emprunt et étoufferaient la demande économique.

Le taux directeur de la Fed est désormais fixé dans une fourchette de 1,5 % à 1,75 % et les responsables politiques ont laissé entendre que d’autres hausses de taux étaient à venir. Dans une nouvelle série de projections économiques, la Fed prévoit que les taux d’intérêt atteindront 3,4 % à la fin de 2022. Il s’agirait du niveau le plus élevé depuis 2008, et les responsables ont estimé que leur taux directeur atteindrait 3,8 % à la fin de 2023. Ces chiffres sont nettement plus élevés que les estimations précédentes, qui prévoyaient un taux maximal de 2,8 % l’année prochaine.

Les responsables de la Fed ont également indiqué récemment qu’ils prévoyaient de réduire les taux en 2024, ce qui pourrait être le signe qu’ils pensent que l’économie va s’affaiblir au point de devoir réorienter leur approche politique. La principale conclusion des prévisions économiques de la Fed, qu’elle a publiées pour la première fois depuis mars, est que les responsables sont devenus plus pessimistes quant à leurs chances de laisser l’économie s’affaiblir en douceur.

Pour souligner cela, les responsables politiques ont supprimé une phrase de leur déclaration d’après-réunion qui prévoyait que l’inflation pourrait être modérée alors que le marché du travail restait fort — un signe qu’ils pensent qu’ils devront peut-être freiner la croissance de l’emploi pour maîtriser l’inflation.

« L’inflation reste élevée, reflétant les déséquilibres de l’offre et de la demande liés à la pandémie, la hausse des prix de l’énergie et les pressions plus générales sur les prix », a réaffirmé la Fed dans son communiqué d’après réunion.

Une fonctionnaire, la présidente de l’antenne régionale de la Fed à Kansas City, Esther George, a voté contre la hausse des taux. Bien que Mme George se soit toujours inquiétée d’une inflation élevée et ait toujours été favorable à une hausse des taux d’intérêt, elle aurait préféré une augmentation d’un demi-point dans ce cas.

Changement de cap

Jusqu’à la fin de la semaine dernière, les marchés et les économistes s’attendaient en général à une hausse d’un demi-point. La Fed avait augmenté les taux d’un quart de point en mars et d’un demi-point en mai, et avait indiqué qu’elle prévoyait de continuer à les augmenter à ce rythme en juin et juillet.

Mais les banquiers centraux ont reçu une série de mauvaises nouvelles sur l’inflation ces derniers jours. L’indice des prix à la consommation a augmenté de 8,6 % en mai par rapport à l’année précédente, soit le rythme de progression le plus rapide depuis la fin de 1981.

Bien que l’indicateur d’inflation préféré de la Fed — la mesure des dépenses personnelles de consommation — soit légèrement inférieur, il reste trop élevé pour être confortable. Et les consommateurs commencent à s’attendre à une inflation plus rapide dans les mois, voire les années à venir, d’après les données d’enquête, ce qui est une tendance inquiétante.

Les économistes pensent que les attentes peuvent s’« autoréaliser », amenant les gens à demander des augmentations de salaire et à accepter des hausses de prix d’une manière qui perpétue une inflation élevée.

Il est de plus en plus improbable que la Fed soit en mesure de refroidir rapidement et en douceur l’inflation au taux annuel de 2 % qu’elle vise en moyenne et à long terme.

La banque centrale s’est efforcée d’engager l’économie sur une voie plus durable sans la précipiter dans une récession écrasante qui coûterait des emplois et freinerait la croissance. Les responsables politiques ont espéré augmenter les coûts d’emprunt pour freiner la demande juste assez pour équilibrer l’offre et la demande sans infliger de douleur majeure. Mais à mesure que les hausses de prix s’obstinent, il devient de plus en plus difficile de parvenir à cet « atterrissage en douceur ».

Les hausses de taux d’intérêt de la banque centrale se répercutent déjà sur l’économie au sens large, faisant grimper les taux hypothécaires et aidant le marché du logement à commencer à se refroidir. La demande d’autres biens de consommation montre des signes de ralentissement, car l’argent devient plus cher à emprunter, et les entreprises pourraient réduire leurs projets d’expansion.

L’objectif est de peser suffisamment sur la demande pour permettre à l’offre — qui reste limitée par les fermetures d’usines, les problèmes d’expédition et les pénuries de main-d’œuvre dans le monde — de rattraper son retard.

Mais il est difficile de freiner la demande sans nuire à la croissance, notamment parce que la consommation représente la majeure partie de l’économie américaine. Si la Fed doit restreindre radicalement les dépenses afin de maîtriser la hausse des prix, cela pourrait entraîner des pertes d’emplois et des fermetures d’entreprises.

Les marchés craignent de plus en plus que la politique de la banque centrale ne provoque une récession. Les cours des actions ont chuté et les signaux du marché obligataire clignotent au rouge, car les négociants de Wall Street et les économistes s’attendent de plus en plus à ce que l’économie bascule dans une récession, peut-être dès l’année prochaine.

Cet article a été initialement publié dans The New York Times.

Lisez l’article original (en anglais)