Chaque samedi, un de nos journalistes répond, en compagnie d’experts, à l’une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.

L’essence est presque à 2,22 $ le litre. Je dis presque, car en fait, elle est à 2,219 $. Je crois qu’il est temps de se débarrasser de l’insignifiant dixième de cent. Je serais bien curieux de savoir comment les spécialistes du domaine peuvent nous expliquer comment les pompes peuvent réussir à calculer une mesure qui ne représente même pas une goutte.

Luc Desjarlais, Saint-Amable

L’essence n’est décidément pas un produit comme les autres. Il est probablement le seul à afficher un prix à l’unité, au litre, alors qu’on en achète des dizaines, avec une précision allant jusqu’aux dixièmes de cent et qui intègre toutes les taxes. Son autre spécificité, c’est que les consommateurs sont extrêmement sensibles aux différences de prix entre stations-service, à un niveau qui frise l’irrationalité.

Pendant des décennies, alors que le prix du litre d’essence était sous la barre des 1 $ et s’affichait en cents, les guerres de prix allaient donc jusqu’au dixième de cent, explique Carol Montreuil, vice-président de l’Association canadienne des carburants.

« Des études ont montré que les consommateurs changeaient de quartier ou allaient un coin de rue plus loin pour des différences d’un demi-cent. Je ne connais pas beaucoup d’autres secteurs du commerce qui affichent leurs prix dans la rue sur des panneaux de 15 pieds de hauteur, que vous magasinez avec votre auto… »

« Superflue » aujourd’hui

Cette précision au dixième de cent est demeurée même quand l’essence a dépassé 1 $, en juillet 2005 à Montréal. « L’essence est chère et le restera », prévenait le 14 juillet à la une de la section Affaires de La Presse la journaliste Hélène Baril.

Aujourd’hui, à un prix tournant autour de 2,20 $ le litre, « la troisième décimale devient superflue, convient Carol Montreuil. Mais les panneaux le permettent, alors ça reste en place. »

Le consommateur, lui, n’a pas changé malgré les hausses de prix : il est très peu fidèle à une enseigne particulière, note-t-il.

Les gens vont dire : “Je cherche le meilleur prix, c’est le même produit de toute façon.” Oui, les compagnies vont vanter leurs propres additifs, mais à la fin, toutes ont mis un additif qui est bon pour le moteur.

Carol Montreuil, vice-président de l’Association canadienne des carburants

La seule exception concerne les stations d’essence avec pompiste, qui se raréfient et qui sont généralement associées à des services de mécanique. « Les gens acceptent que les prix soient un peu plus élevés, il y a une clientèle qui apprécie ça et qui ne veut pas sortir de son auto pour faire le plein. »

Reflet des cours mondiaux ?

La France est un cas intéressant pour cette fameuse troisième décimale, qui n’est apparue qu’avec l’adoption de l’euro en 2002. L’économiste Erwan Gauthier a publié en 2015 une étude qui démontre l’aspect psychologique et marketing de cette pratique. Après avoir analysé 8,5 millions de prix de 2007 à 2009, il a constaté que 60 % de ceux-ci se terminaient par un « 0 » ou un « 9 », ce qui n’a évidemment rien d’aléatoire.

Cet exercice était justifié par le fait que certains analystes expliquaient que cette troisième décimale venait en fait du cours des contrats à terme de l’essence, et des carburants en général. Effectivement, ces cours vont jusqu’à la troisième, parfois même jusqu’à la quatrième décimale. L’essence, par exemple, se vendait ce vendredi matin à 4,1506 $ US le gallon et le pétrole brut, le WTI, à 119,390 $ US le baril.

« Ç’a toujours été établi comme ça et, même avec des prix plus élevés, ça continue, note Carol Montreuil. Je pense que ça relève surtout de la tradition. »

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