(Ottawa) La ministre fédérale de l’Agriculture a soutenu vendredi que les forces russes visaient l’approvisionnement alimentaire des Ukrainiens, y compris leurs réserves de céréales.

Marie-Claude Bibeau a assisté vendredi à une réunion d’urgence des ministres de l’Agriculture des pays du G7. Selon elle, le ministre ukrainien a dit à ses homologues que les forces russes frappaient les silos à grains, les ports et les infrastructures nécessaires pour stocker et distribuer les récoltes, mais aussi les entrepôts d’aliments.

Dans une entrevue après la réunion ministérielle du G7, Mme Bibeau a qualifié de « choquantes » ces opérations, qui constituent selon elle un signe supplémentaire que les cibles russes ne sont pas seulement « militaires », comme le prétend Vladimir Poutine.

« Ce qui m’a particulièrement alarmée, c’est le fait que la Russie cible vraiment les infrastructures agricoles, les silos, les élévateurs à grains — le port lui-même en étant une partie importante », a-t-elle déclaré.

La ministre Bibeau estime que ces opérations ont « un impact direct sur la capacité (des Ukrainiens) à produire de la nourriture pour leur population — à nourrir leur peuple ».

Elle a déclaré que selon son homologue ukrainien, les agriculteurs de ce pays envahi étaient aussi confrontés à de graves difficultés pour procéder aux récoltes cette année. Car non seulement les agriculteurs et de nombreux ouvriers agricoles combattent les Russes, mais l’armée ukrainienne a aussi réquisitionné des réserves de carburant qui étaient destinées à la machinerie agricole, comme les moissonneuses-batteuses.

« Tout le diesel qu’ils avaient en stock pour les fermes a été fourni pour les véhicules militaires, a déclaré Mme Bibeau. Ils sont à court de diesel. »

La ministre a ajouté que le Canada, un important donateur par le biais du Programme alimentaire mondial de l’ONU, achemine de l’aide alimentaire vers l’Ukraine. « C’est, pour le moins, extrêmement difficile, même critique, et nous essayons de voir, en tant qu’amis, comment nous pouvons aider, comment nous pouvons aider par le biais du Programme alimentaire mondial. »

Mais elle souligne aussi que le Canada et les États-Unis avaient fait de mauvaises récoltes l’année dernière en raison de la sécheresse, de sorte que les stocks de céréales sont inférieurs à la normale.

Engrais russes et blé ukrainien

Mme Bibeau prévient par ailleurs les agriculteurs canadiens qu’ils pourraient maintenant faire face à des pénuries d’engrais, qu’ils achètent habituellement à la Russie. Ces pénuries pourraient affecter la récolte de cette année, dit-elle, même si les agriculteurs canadiens essaient de trouver des solutions de rechange.

Les consommateurs canadiens, de leur côté, devraient s’attendre à une flambée des prix du pain et des pâtes, à la suite d’une hausse du prix du blé après l’invasion russe. L’huile végétale, autre grande exportation ukrainienne, pourrait également être plus rare sur les tablettes des épiceries.

L’Ukraine est l’un des plus grands exportateurs mondiaux de blé et d’huile de tournesol, et de nombreux pays, dont le Liban et le Bangladesh, dépendent du blé ukrainien pour les aliments de base, y compris le pain.

Les compagnies maritimes refusent également de transporter des céréales russes — par principe, depuis l’invasion de l’Ukraine, mais aussi parce que leurs primes d’assurance ont considérablement augmenté depuis le début de la guerre, a expliqué Arif Husain, économiste en chef au Programme alimentaire mondial (PAM).

Julie Marshall, porte-parole canadienne au PAM, souligne que les prix mondiaux des denrées alimentaires sont à un niveau record et que la crise en Ukraine frappe durement les « points chauds de la sous-alimentation dans le monde ».

« Les conséquences du conflit en Ukraine ont un impact mondial, déclenchant une vague collatérale de sous-alimentation qui se propage à travers le monde », a-t-elle déclaré.

« Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont particulièrement vulnérables à la hausse des prix des aliments, car (ces régions) importent de grandes quantités de nourriture. Le Liban importe plus de 50 % de son blé d’Ukraine. Pour le Yémen, la proportion est de 22 % ; la Tunisie, c’est 42 % », soutient Mme Marshall.

Sophia Murphy, directrice de l’Institut pour les politiques agricoles et commerciales, une organisation à but non lucratif promouvant l’agriculture durable, souligne que « la hausse spectaculaire des prix des aliments, des engrais et du carburant dans le monde, déclenchée par la guerre, nous rappelle brutalement la rapidité avec laquelle les perspectives de sécurité alimentaire peuvent changer ».