Chaque samedi, un de nos journalistes répond, en compagnie d’experts, à l’une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.

Ma question découle du contexte d’anticipation de prochaines hausses de taux d’intérêt par les banques centrales afin de calmer l’inflation dans l’économie. En Bourse, pourquoi dit-on que des taux d’intérêt plus élevés peuvent faire diminuer la valeur des actions ?

Alain Wolff

Afin de répondre adéquatement à cette question, La Presse a fait appel à Jean-René Ouellet, vice-président et stratège d’investissement chez Desjardins Gestion de patrimoine. Il propose une réponse à deux volets.

Concurrence d’attrait

Le premier volet découle de la situation de concurrence entre les divers titres d’investissement offerts sur les marchés financiers pour attirer les capitaux des investisseurs.

« Les investisseurs professionnels surveillent de près l’équation entre le niveau de risque de marché (hausse ou baisse de valeur) et le rendement attendu de leurs titres en portefeuille, explique Jean-René Ouellet.

« Quand les taux d’intérêt des titres obligataires sont très bas, sinon presque nuls, pendant une période prolongée, alors que les marchés d’actions offrent un rendement de base en dividendes de l’ordre de 3 %, sans compter le potentiel de gains de valeur, les titres obligataires sont moins attrayants que les actions pour attirer les capitaux des investisseurs avec un minimum de tolérance au risque. »

PHOTO FOURNIE PAR DESJARDINS GESTION DE PATRIMOINE

Jean-René Ouellet, vice-président et stratège d’investissement, Desjardins Gestion de patrimoine

Toutefois, lorsque les taux d’intérêt sont en hausse, cet avantage de rendement de base des actions par rapport aux obligations peut rapidement s’atténuer et même s’inverser, au rythme de la remontée des taux.

« En fait, au fur et à mesure que se concrétisent les hausses de taux d’intérêt, et que le rendement de base des obligations s’améliore, un nombre croissant d’investisseurs sont motivés à réduire la répartition en actions dans leurs portefeuilles – considérées comme des actifs à risque – afin de rehausser la répartition en obligations en fonction de leur gestion de risque en portefeuille, explique M. Ouellet.

« Par conséquent, c’est dans l’anticipation d’un tel phénomène que les signaux de prochaines hausses de taux d’intérêt de la part des banques centrales sont souvent la cause d’épisodes baissiers en Bourse. »

Impact sur les résultats futurs

Le second volet de la réponse explicative de Jean-René Ouelllette découle de l’impact d’une remontée des taux d’intérêt sur les prochains résultats des entreprises cotées en Bourse.

« La valeur fondamentale des actions en Bourse dépend beaucoup des attentes de résultats et de bénéfices futurs de l’entreprise ou de l’entité d’affaires qui les a émises », rappelle M. Ouellet.

Or, pour les entreprises qui sont plus endettées, ou dont les bénéfices sont très faibles ou encore inexistants, une remontée des taux d’intérêt augure des coûts de financement plus élevés au détriment de leurs prochains résultats.

Par ailleurs, une remontée des taux d’intérêt peut affecter le pouvoir d’achat et d’investissement des clients de ces entreprises, ce qui pourrait nuire à la progression de leurs revenus (ventes) et de leurs bénéfices.

Du point de vue des investisseurs en Bourse, ce risque d’impact sur les prochains résultats des entreprises influence leur perception de la valeur attribuée à leurs actions.

Jean-René Ouellet, vice-président et stratège d’investissement, Desjardins Gestion de patrimoine

« Dans le milieu boursier, c’est ce que l’on mesure notamment par le ‟multiple cours-bénéfice” (C/B) attribué aux actions des entreprises cotées. Et comme on le voit depuis le début de l’année, ce sont les actions ou les indices de marché à plus haut multiple C/B dont la valeur est la plus affectée par les signaux d’une prochaine remontée des taux, signale M. Ouellet.

« En Bourse américaine, par exemple, l’indice du marché NASDAQ, qui est dominé par des entreprises technologiques de type ‟croissance” et dont le multiple C/B cotait récemment proche de 30 fois, a été beaucoup plus affecté à la baisse depuis le début de l’année (- 15 %) que l’indice de marché plus général S&P 500 (- 8 %) qui, lui, affichait un multiple C/B dans la basse vingtaine. »

Cette comparaison est aussi éloquente dans le cas de l’indice S&P/TSX de la Bourse canadienne, où prévalent les entreprises dites de « valeur » dans les services financiers, l’énergie et les matières premières. Avec son multiple C/B aux environs de 15 fois, le S&P/TSX est en recul d’à peine 0,6 % depuis le début de l’année.